Agrippa D'Aubigné est surtout connu pour sa peinture, sombre et emplie d'images de sang et de meurtres, des guerres de religion en France, luttes inexpiables, où le massacre des protestants puis l'interdiction de leur culte suscitèrent un fort parti armé, s'opposant au parti catholique, en ces temps où le catholicisme était religion d’État, et où le mieux qui ait pu s'obtenir pour temporiser est le traité de tolérance (ce qui n'est pas la Laïcité qui ne reconnaît, ne salarie, et ne subventionne aucun culte ; et qui protège la liberté de conscience de chaque citoyen), traité de tolérance que Louis XIV abolit, lui qui suscita les dragonnades, les grandes chasses aux protestants, et l'organisation clandestine de leur culte.
Il s'agit de ce grand poème, politique et épique, d'un souffle inégalé dans la poésie française qui s'appelle "Les Tragiques".
Agrippa D'Aubigné est aussi l'auteur de poèmes d'amour enflammés, un recueil de sonnets, intitulé "Hécatombe à Diane" (republié récemment aux Presses Universitaires de Saint-Étienne, dans une édition critique, avec préface, notes, et variantes ; pour le prix de dix euros)
--- Un sonnet extrait de "Hécatombe à Diane"
Auprès de ce beau teint, le lys en noir se change,
Le lait est basané auprès de ce beau teint,
Du cygne la blancheur auprès de vous s'éteint
Et celle du papier où est votre louange.
Le sucre est blanc, et lorsqu'en la Ьоuсhе on le range
Le goût plaît, comme fait le lustre qui le peint.
Plus blanc est l'arsenic, mais c'est un lustre feint,
Car c'est mort, c'est poison à celui qui le mange.
Votre blanc en рlаіsіг teint ma rouge douleur,
Soyez douce du goût, comme belle en couleur,
Que mon espoir ne soit démenti par l'épreuve,
Votre blanc ne soit point d'aconite noirci,
Car ce sera ma mort, belle, si je vous trouve
Aussi blanche que neige, et froide tout ainsi.
1) A noter, pour la versification, que "trouve" rime avec "épreuve" car ici nous avons une version modernisé du texte, et en vérité avant qu'au présent de l'indicatif nous n'ayons "je trouve" il a persisté pendant longtemps "je treuve".
2) A noter, en ce qui touche au thème, le dépassement du lieu-commun de la blancheur de visage de la belle.
3) Relevons le goût baroque : alliance du рlаіsіг à la mort ; les antithèses de couleurs ; le caractère exalté d'une poésie qui ne prie pas, mais juge, estime, condamne la dame, avec la pointe finale.
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Accourez au secours de ma mort violente,
Аmапts, nochers experts en la peine où je suis,
Vous qui avez suivi la route que je suis
Et d'amour éprouvé les flots et la tourmente.
Le pilote qui voit une nef périssante,
En l'amoureuse mer remarquant les ennuis
Qu'autrefois il risqua, tremble et lui est avis
Que d'une telle fin il ne perd que l'attente.
Ne venez point ici en espoir de pillage :
Vous ne pouvez tirer profit de mon naufrage,
Je n'ai que des soupirs, de l'espoir et des pleurs.
Pour avoir mes soupirs, les vents lèvent les armes.
Pour l'air sont mes espoirs volagers et menteurs,
La mer me fait périr pour s'enfler de mes larmes.
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En un petit esquif éperdu, malheureux,
Exposé à l'horreur de la mer enragée,
Je disputais le sort de ma vie engagée,
Avecq' les tourbillons des bises outrageux.
Tout accourt à ma mort : Orion pluvieux
Crève un déluge épais, et ma barque chargée
De flots avecq' ma vie était mi submergée,
N'ayant autre secours que mon cri vers les cieux.
Aussitôt mon vaisseau de peur et d'ondes vide
Reçut à mon secours le couple Tindaride !
Secours en désespoir, opportun en détresse.
En la mer de mes pleurs porté d'un frêle corps,
Au vent de mes soupirs pressé de mille morts,
J'ai vu l'astre besson des yeux de ma déesse.
1)Je modernise l’orthographe : je mets des accents que l'édition originale omet ; je mets à l’imparfait de l'indicatif "ais" ou "ait" au lieu de "ois" ou "oit" ; "vuide" devient "vide" ; j'écris "était" au lieu de "estoit" et "détresse" au lieu de "destresse" ; ...
2)"Besson", dans le dernier vers, signifie "jumeau". Le mot n'a pas subsisté en français ; par contre, pour ceux qui pratiquent un parler occitan, ils et elles reconnaîtront le mot "bessou" en graphie du Félibrige ou "besson" en graphie de l'Institut d’Études Occitanes, mot qui a, aussi, le sens de "jumeau".
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Au tribunal d'amour, après mon dernier jour,
Mon coeur sera porté diffamé de brûlures,
Il sera exposé, on verra ses blessures,
Pour connaître qui fit un si étrange tour,
A la face et aux yeux de la Céleste Cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il saignera sur toi, et complaignant d'injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :
Tu diras : C'est Vénus qui l'a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses !
N'accuse point Vénus de ses mortels brandons,
Car tu les as fournis de mèches et flammèches,
Et pour les coups de trait qu'on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches.