Dans la tradition de certaine dame de cour japonaise, Sei Shonagôn, auteure des "Notes de chevet" et dans la suite des notations brèves du personnage tout fictif de Pascal Quignard dans "Les Tablettes de buis d'Apronenia Avitia", matrone assistant avec nostalgie à la fin de l'Empire et du polythéisme romains, je vais dire ce qui est émouvant.
- Le souvenir persistant du parfum de la peau d'un аmапt, passager, volatile, et qui revient me visiter, inattendu dans ma solitude, et me rappeler une douceur sensible, alors que je suis en suspens loin des corps humains, c'est un secours : c'est émouvant.
- La vue d'une assiette, comportant un chat dessiné (il me tourne le dos), et le rappel, immédiat, de mon compagnon, perdu chez les morts, il avait la coutume de ce sobriquet, ridicule pour qui n'en a jamais été l'objet mais chargé d'une affection qui ne pouvait se dire autrement, "Ma mougnoutte", et le passé d'un amour redevient et se présente : c'est émouvant.
- Le site gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal, et, en faisant abstraction de l'autoroute très bruyante dans ce resserrement de la vallée du Rhône, m'aviser, encore et toujours, à chaque visite, de la beauté du fleuve et du site, et halluciner comme si je voyais distinctement les habitants dans ce lieu essentiel du commerce fluvial, voir les habitants, voir les thermes au-delà des fondations, voir les rues au-delà des soulèvements des dalles par le temps, être en vie dans ce passé qui est potentiel et effectif (si je le désire) : c'est émouvant.
- Pleurer les larmes du silence, et dire par leur biais les mots d'amour qui n'ont pas été prononcés, dans la lourdeur amère exprimer la joie d'un amour - cette joie dont je me suis trop tard bien avisé -, et converser avec un garçon qui n'est plus là, sentir sa présence en dépit de sa mort, et savoir qu'il ne sera jamais plus présent : c'est émouvant.
- Manger du quinoa, mélangé avec des œufs : accorder à la saveur de cette graine une juste attention, ne point m'attarder, mais goûter la prégnance de ce goût qui glisse et s'échappe vers le bout extrême de ma langue, éprouver la matière fugace d'une graine : c'est émouvant.
- Sur le lit, dans les replis de la substance, voir encore, présente ou absente, la silhouette marquante d'un amour, entrevoir encore la pesanteur d'un corps, savoir que l'amour ne disparaît pas et se transforme en fidélité - fidélité en pointillé -, malgré ma capacité d'oubli : c'est émouvant.
A suivre !