La maison est le plus souvent présentée comme un lieu préservé, propice à l'intimité, à l'épanouissement personnel et au bien-être.
Il n'en est rien !
Les peintures à base d'arsenic, les thermomètres au mercure, les isolations à l'amiante m'ont pas épargné nos aînés. Et que dire des implosions de tubes cathodiques, entre autres auto-combustions de friteuses ou cloques de fers à repasser ?
L'époque des maisons assassines n'est pas révolue. Voici le récit de mes péripéties d'hier soir (histoire vraie).
Hier, on a attenté à ma vie. Un seul coupable : cette maudite baraque.
Oh, ce n'était pas première fois. Déjà m'avait-on extirpé des gravats lorsque le grenier trouva facétieux de faire s'effondrer sur moi le plafond de la salle de bain, un étage plus bas, à la faveur d'une douche automnale...
La pendule avait, depuis peu, sonné onze coups. Je pianotais encore sur le clavier de l'ordinateur, les reins bien calés au fond du vieux fauteuil de bureau. Elle en a vu passer des сuls, cette vacherie de siège : un à un depuis des générations ; deux à deux parfois, lorsqu'à l'âge d'abandonner la toge prétexte, je découvrais les рlаіsігs délicieux de la chair.
Sans doute le vieux châssis de hêtre a-t-il enduré - non sans nourrir quelque rancune - les bourrasques du passé... La vengeance est toujours meilleure quand elle a pris le temps de faisander.
Désireux de ramener à la vie mon dos ankylosé par quelques heures d'écriture plus ou moins sérieuse, je m'étire vers l'arrière. Il n'en fallait pas plus au dossier du fauteuil : il céda brusquement après un grincement sardonique qui me hérissa le poil. Et moi de basсuler lamentablement à la renverse, la caboche en premier et le corps après elle. Ma tête heurta le coin du buffet ; un de ses vieux buffets de campagne ennuyeux dont les contours autant que le contenu n'ont pas manqué d'inspirer à Balzac le décor suranné de la pension Vauquer.
Ma carcasse gisait mollement, les quatre fers en l'air. Mes guibolles commençaient à gigoter dans le vent, telles les pattes impuissantes d'une tortue retournée sur sa carapace. À ce moment, la grosse soupière en étain - déséquilibrée par le heurt contre le vaisselier - tomba depuis le bord de l'étagère sur laquelle elle fuпambulait depuis des lustres. Elle atterrit, pleine pastille, sur mon front.
Ce vacarme (inhabituel aux heures de la nuit dans un village d'ordinaire si calme) alerta les autres occupants de la maison. On me relava, hilare devant l'incongruité de mon propre accident.
Un coton étancha le sang : une plaie indolore s'était ouverte juste en dessous de l'occiput. Mon front fut tartiné avec le fameux baume de tante Laguite, millésime 1952 : macérat surgras de simples avec lequel on pommade religieusement tous les coups et toutes les bosses à portée de ԁоіgts. L'onguent - passablement éventé et objet de folklore familial - eut l'effet escompté : c'est-à-dire aucun, si tant est qu'il ait soulagé un jour la moindre ecchymose.
Je me réveillais ce matin avec :
- une entaille qui, sans mon taux important de plaquettes dans le sang, aurait nécessité un ou deux points de suture (cadeau du buffet)
- un œuf de pigeon violacé sur le front (cadeau de la soupière)
- un hématome verdâtre sur le dos (cadeau du fauteuil)
Vivent les vacances !