Face au formatage que subit le cadre de la pensée, par les "nouvelles brèves" (qui expédient en si peu de temps des milliers de morts lors d'un tremblement de terre en Chine), par les affrontements politiques au sommet entre candidats qui rivalisent en concision et en brièveté (comme si tout pouvait se réduire à des formules percutantes), face - aussi - à une pratique majoritaire ici qui est de considérer tout texte long comme une excroissance indécente, j'avoue, oui j'avoue...
J'avoue que je suis d'autant plus porté, par un esprit invétéré de contradiction, mais aussi par une mesure de sauvegarde personnelle, à ne pas accepter ce moule fatal de la brièveté ; je ne m'y sens pas bien ; j'y étouffe ; je suffoque.
Il faut que ma pensée puisse s'étirer, en méandres, en de larges cheminements, comme lorsque le Rhône avait des crues, pour qu'enfin il me soit donné d'aboutir là où je n'en serais, autrement, jamais arrivé.
Et ne croyez pas que ce soit par une esprit de forfanterie : pour parader.
Les mots qui viennent d'abord méritent que d'autres les viennent préciser, modifier, contrarier, désarçonner, ou encore nuancer.
Le style de l'uppercut direct, je sais pratiquer, mais..., mais...
Le рlаіsіг, souverain, de la conversation, le рlаіsіг que je me fais à moi-même (ah, avoir vécu au dix-huitième, en France, parmi les mаîtгеs de la conversation, Diderot, Voltaire, ou l'anglais Sterne qui la possédait amplement...) n'est pas à dédaigner.
Et les lenteurs donnent bien des langueurs.
Oui, j'aimerais, comme j'aimerais discuter avec vous toutes et vous tous de ces petits riens, qui sont tout le sel de la vie, et non pas sauter de sujet en sujet, pour en trancher en trois lignes expéditives, arides comme le siroco.
Il n'y a rien de plus infatué que ce style express qui expédie en deux temps un mouvement ; de plus, il est pauvre, appauvrissant, déshumanisant ; et, enfin, comble de tout, il dessèche le cœur (sans que nous y prenions garde, tant est puissant le conditionnement).
Et si nous badinions, quelque peu. Et si nous nous faisions le рlаіsіг de causer ?
Le рlаіsіг de causer, pas celui de disputer, de trancher ; celui de manier les mots ; celui d'être attentif aux inflexions de la langue.
Le рlаіsіг de peser ce qui se dit, et de le dire avec générosité, et faconde.
Oui, et le seul "sujet" serait (est ?) le рlаіsіг commun, partagé, contagieux de bavarder, sans horizons arrêtés, sans buts, sans fins préméditées.