Lyonnaise, du seizième siècle, courtisane pour certains, "femme honnête et cultivée" pour d'autres, plus que la chaste Pernette Du Guillet (pleurant son jeune époux trop tôt disparu) et plus que l'emberlificoté Maurice Scève (auteur de "Délie, objet de plus haute vertu"), Louise Labé illustra la petite "Pléiade" qui se forma dans cette cité, très sensible aux influences italiennes, d'un point de vue littéraire mais aussi du point de vue commercial et bancaire.
Une voix de femme : un seul volume de poésies, formé de vingt-cinq sonnets, dont la densité sепsuеllе, les formules directes, un désir de femme hautement exprimée sans détours sont les qualités qui lui valent une pérennité juste, méritée et une célébrité brûlante !
Voilà une dizaine d'années, l'on a mis en doute, non pas l'existence bien avérée de Louise Labé, mais que ce soit elle qui ait écrit ce recueil de poèmes unique, qui - il est vrai - détonne en comparaison de ses fades élégies, ou de son "Débat du cœur et de la raison" : la thèse serait qu'un groupe de poètes chevronnés, des hommes, auraient joint leur talent pour tromper leur monde et faire un pastiche tellement ressemblant de la poésie amoureuse que tout le monde s'y tromperait : Louise Labé ne serait qu'une créature de papier.
Laissons aux spécialistes le soin de trancher.
Ce qui importe est cette poésie diablement sепsuеllе !!!
L’œuvre de Louise Labé est disponible dans de multiples éditions de poche, bien conçues. Au Livre de Poche, dans la collection GF, ...
Pour les amateurs de la Bibliothèque de la Pléiade, ses sonnets sont recueillis dans le volume "Poètes du seizième siècle".
- Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
Ô сhаuԁs soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues,
Ô jours luisants vainement retournés !
Ô tristes plaints, ô désirs obstinés,
Ô temps perdu, ô peines dépendues, [dépensées]
Ô mille morts en mille rets tendues,
Ô pires maux contre moi destinés !
Ô ris, ô front, cheveux, bras, mains et ԁоіgts !
Ô luth plaintif, viole, archet et voix !
Tant de flambeaux pour ardre une femelle !
De toi me plains, que tant de feux portant,
De tant d'endroits d'iceux mon cœur tâtant,
N'en est sur toi volé quelque étincelle.
(second sonnet)
- On voit mourir toute chose animée
Lorsque du corps l'âme subtile part ;
Je suis le corps, toi la meilleure part.
Où es-tu donc, ô âme bien aimée ?
Ne me laissez pas si longtemps pâmée,
Pour me sauver après viendrait trop tard.
Las, ne mets point ton corps en ce hasard :
Rends-lui sa part et moitié estimée.
Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre et revüe amoureuse,
L'accompagnant non de sévérité,
Non de rigueur, mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à présent favorable.
(septième sonnet)
- Oh, si j'étais en ce beau sеіп ravie
De celui-là pour lequel vais mourant,
Si avec lui vivre le demeurant
de mes courts jours ne m'empêchait епvіе ;
Si m’accolant me disait, chère Amie,
Contentons-nous l'un l'autre, s’assurant,
Que jà tempête, Euripe, ni Courant
Ne nous pourra déjoindre en notre vie ;
Si de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l'arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise епvіеuse,
Lors que souef [doucement] plus il me Ьаіsегait [donnerait un Ьаіsег]
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je pourrais, plus que vivante, heureuse.
(treizième sonnet)
- Ваіsе-m'encor, reЬаіsе-moi et Ьаіsе ;
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus сhаuԁs que braise.
Las, te plains-tu ? ça, que ce mal j'apaise,
En t'en donnant dix autres doucereux.
Ainsi mêlant nos Ьаіsегs tant heureux
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m'amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrètement, [en secret, retiré]
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moi ne fais quelque saillie.
(dix-huitième sonnet)
- Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé,
Si j'ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux [supplices], mille douleurs mordantes.
Si en pleurant j'ai mon temps consumé,
Las que mon nom ne soit par vous blâmé.
Si j'ai failli, les peines sont présentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes,
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,
Sans votre ardeur d'un Vulcain excuser,
Sans la beauté d'Adonis accuser,
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses,
En ayant moins que moi d'occasion,
Et plus d'étrange et forte passion.
Et gardez-vous d'être plus malheureuses.
(vint-quatrième sonnet)