En me relisant je ne suis pas satisfait de l'aspect mélodramatique du premier paragraphe : je ne suis pas en accord avec celui-ci.
Donc je révise.
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Solitude invétérée habitant au creux de tes yeux, seulement rompue de tendresse en des instants très passagers, tout comme les nuages au ciel soudain se rassemblent en été, avant qu'un orage crépite du faisceau de ses bruissements, de ses hurlements, de ses rages, de son rassemblement sauvage, de son ivresse torrentielle, arasant la terre au tréfonds, comme tu plantais un regard en me traversant le visage et tгапsperçais vers des lointains, ou était-ce vers un néant, ou un pays que j'ignorais ; quand tu es arrivé au Portugal, voyageant seul pour un dernier aller, en cette chambre tu t'es couché sans te dévêtir, je t'attendais à la réception, tu t'es faufilé comme un poisson, maigre et invisible et savonneux, échappant à toute perception ; tu t'es couché sans te dévêtir dans cette chambre dessous les toits ; les tramways grelottaient à Lisbonne et prenaient le tournant en crissant, et prenaient notre hôtel en écharpe en l'environnant de tintements ; je t'attendais, croyant que tu n'étais pas arrivé ; quand j'ai ouvert la porte et je t'ai vu dans la touffeur, quand j'ai vu ton corps replié dans son épuisement, tu murmurais alors que je désirais t'embrasser "Laisse-moi dormir", et j'ai rengainé cette tendresse encor malvenue.
Et tu portais toujours au poignet un lourd bracelet africain noir, il te faisait une plaie ргоfопԁе ; il a fallu bien des hurlements pour que ce serrement purulent te soit par les pompiers épargné ; je leur ai expliqué que c'était un suicide lent, ils ont écouté les mots désarmés de ce Français, avec la présence de ceux qui ne s'étonnent pas des moyens de destruction que les humains mettent en œuvre, pour se mettre au néant, pour que la peine acide redouble son effet, pour que soit détourné vers le corps usagé l’œuvre mauvaise que l'esprit ne peut contenir.
Combien de fois auras-tu montré à l'hôtel, le matin, au petit-déjeuner, qu'une peau t'empêchait d'аvаlег ; tu montrais les ganglions absents, qu'ont enlevés les praticiens pour couper court à ton cancer ; tu grignotais, tu picorais ; quand j'ai vu ton corps décharné, une partie de moi a su que le voyage était fini, et je ne l'ai pas formulé serait-ce en mon for intérieur par des mots distincts et pesants ; je garde en moi cette faiblesse, j'ai en moi ces mots qui résonnent : "Tu as vu, j'ai tout mangé" ; et revenu à Lyon, vainement j'ai retiré du placard où il dormait cet appareil à mixer, mais tard, il était trop tard.
Je garde en moi ce départ silencieux, absent de toi, sans me dire un au-revoir ; "Tu as vu, j'ai tout mangé" ; j'ai en moi ta silhouette, chaque jour il me revient de ces souvenirs précis qui font l'épaisseur des jours, nous sur le quai d'une gare à Tournon devant les vignes escaladant les coteaux, toi cueillant les trèfles du bonheur, toi désignant une espèce d'arbres et me la nommant distinctement ; "Tu as vu, j'ai tout mangé", mais il était tard, trop tard, et ce n'est qu'aux роmреs fuпèbres que j'ai retenu ta main de mort pour te rendre un hommage de l'amour, toi qui le voulais et le fuyais, toi qui l'espérais et le craignais.
Il n'y a pas de retour, il n'y a pas de faux jours, nul arc-en-ciel à prévoir, nulle assomption dans les cieux, mon amour n'est pas dissipé, mon amour est au gré du temps, mon amour est en pointillé comme toute chose dans le temps.
Et je pense à ces Ьаіsегs que nous aurons peu goutés, et ces Ьаіsегs nous manquent, ces Ьаіsегs sont brûlants, sur le point de sortir, au bout des lèvres éclos, ils rencontrent une absence, pour toujours ton absence, un absent solitaire qui voyage en Algarve aux souterrains des morts avec une grand-mère, dont je ne me souviens quel était le prénom, sur la tombe gravé ; j'ai au souvenir les cactus qui servaient de garde-manger à certains oiseaux cachottiers et que ta grand-mère étayait, ils se projetaient dangereux dans un vacillement tendant leurs piquants sans mesure ; tu m'as conté ce souvenir, que je conserve en ma mémoire - mon souvenir est partagé entre nous deux, dorénavant et pour toujours.