Le mini bus bariolé filait à vive allure vers le Sud par la Nationale 198 qui rejoint Porto-Vecchio en longeant toute la côte orientale de la Corse, longeant parfois le rivage en offrant le spectacle du reflet bleu irisé et incomparable de la Méditerranée, s’enfonçant à d’autres moments dans l’arrière pays où son maquis exhalait un inimitable bouquet parfumé des senteurs mêlées de thym, de romarin, de pin et de lavande sauvage.
Seule la traversée des nombreux petits villages typiques encore préservés de l’urbanisation touristique ralentissait leur course. Le soleil ardent rendait presque pénible la température qui ne cessait de monter mais les vitres grandes ouvertes de l’estafette permettaient à un courant d’air bienfaisant de s’engouffrer dans le véhicule rendant la canicule supportable.
Evelyne, fidèle à son habitude, trônait fièrement à l’avant du véhicule, crinière au vent, à côté de Riton qui ne confierait pour rien au monde à un autre la conduite de son estafette. Fred et Claude étaient confortablement installés au deuxième rang, se tenant la plupart du temps par la main tout en admirant le défilé des panoramas plus somptueux les uns que les autres. Coloc quant à lui, un peu indisposé par le courant d’air avait trouvé refuge sur un siège du dernier rang au fond du véhicule, lui si bruyant et bavard habituellement, il paraissait souffrir aujourd’hui de la сhаlеuг et se faisait très discret. Sa mаîtгеssе se retournait fréquemment lui jetant un regard bienveillant mais emprunt d’une certaine inquiétude car son cher oiseau n’avait jamais voyagé beaucoup voyagé et jamais par un temps aussi сhаuԁ. Elle avait posé un bac rempli d’eau au bas du siège arrière de sorte que Coloc puisse régulièrement se rafraîchir, constatant qu’il se désaltérait régulièrement, elle était rassurée.
L’autoradio répandait dans l’habitacle les airs des derniers tubes de l’été tandis que les passagers silencieux, accablés par la сhаlеuг espéraient apercevoir les premières habitations de Porto-Vecchio. Soudain entre deux chansons, l’animateur radio annonça qu’il était 13h30 et que le départ de l’étape cycliste venait d’être donnée à Bastia sous une сhаlеuг accablante de 38°, les organisateurs craignaient que les malaises parmi les coureurs provoquent une hécatombe. A ce moment Riton sortit de son silence et dit soudain :
« Voilà le panneau Porto-Vecchio, nous arrivons »
Claude qui avait posé sa tête sur l’épaule de Fred se redressa soudain et s’exclama :
« Il était temps, 10 minutes de plus et je finissais liquéfié »
Fred sourit au trait d’humour de son compagnon et lui lança un regard complice. Evelyne sortit une brosse de son sac et décida de peigner sa magnifique chevelure que le vent capricieux avait mis un peu en désordre. Riton qui connaissait tous les recoins des principales villes de son île natale, décida de se diriger vers les quais du port de plaisance où il pensait avoir plus de chance de trouver un emplacement pour garer son mini bus et y installer son stand de vente d’épicerie. Le véhicule coloré chemina lentement au milieu de la circulation déjà dense des touristes venus assisté à l’arrivée de l’étape, Riton s’en réjouissait espérant réaliser ainsi un bon chiffre de vente.
Ils arrivèrent enfin sur les quais et trouvèrent facilement à se garer. Le port de plaisance offrait à leur regard le spectacle éclatant de tous ces bateaux arrimés dansant au gré du vent et des ondulations de l’eau. Evelyne que la faim commençait à tirailler prit l’initiative et dit à ses amis :
« Je commence à avoir très faim, pas vous ? Ne traînons pas sur le quai, j’ai aperçu un petit restaurant un peu plus haut dans la rue, je vous invite, nous aurons le temps cet après-midi avant l’arrivée du tour de venir nous balader sur les quais et profiter du port et de la vue sur le somptueux golfe de Porto-Vecchio. »
Ils mangèrent comme des rois sur la terrasse ombragée par des palmiers de ce petit restaurant spécialisé dans les produits de la mer, Coloc ne manquait pas de virevolter de convives en convives piquant au passage dans chaque assiette ce qui lui plaisait le plus, Evelyne s’en amusait et était fière que son volatile fut le centre d’attraction du restaurant.
Ils terminèrent le repas par un rafraîchissant sorbet maison composé d’une variété de fruits ; framboises, myrtilles, oranges, citrons, kiwi, violettes qui étrangement reconstituaient dans les coupes les couleurs de l’arc-en-ciel.
15h00 avait sonné au clocher de l’église de la ville, ce qui sortit les 4 amis de la torpeur de la digestion qui commençait à s’installer, Evelyne demanda l’addition et la régla dans la foulée, ses amis la remercièrent chaleureusement de cet excellent repas tout en promettant de l’inviter très prochainement. Ils quittèrent la table et la quiétude de cette terrasse ombragée et décidèrent d’aller marcher un peu sur les pontons du port en espérant trouver au bord de l’eau un air de brise rafraîchissant.
La vue était sublime, le golfe de Porto-Vecchio miroitait sous le soleil de juillet et les bateaux de plaisance donnait à ce paysage un air de carte postale. Les touristes se faisaient de plus en plus nombreux, profitant aussi de la beauté du panorama. Riton pensant à son commerce décida de retourner à l’estafette pour préparer son stand d’épicerie de produits locaux. Les autres continuèrent leur promenade tranquille chacun s’extasiant devant les bateaux plus beaux les uns que les autres. Arrivant à l’extrémité du dernier ponton ils aperçurent tout au bout, de dos un couple assis, les pieds trempant dans l’eau. La femme serrait son compagnon dans ses bras dans un geste de réconfort, lui la tête inclinée et le dos courbé paraissait porter toutes les peines du monde sur les épaules.
Nos trois amis se rapprochaient du couple, quand, arrivés à une dizaine de mètres ils entendirent l’homme éclater dans une crise de sanglot irrépressible. Claude attristé par ce spectacle n’y tenait plus et porté par un fort sentiment d’empathie se précipita vers le couple, croyant à une dispute d’amoureux qui aurait mal tourné.
Arrivant à leur hauteur il se permit de s’immiscer dans leur intimité :
« Que vous arrive-t-il mes amis ? C’est vraiment dommage de vous disputer par un temps aussi magnifique et devant un aussi beau paysage… »
L’homme dont les cheveux châtains clairs mi-longs était soigneusement noués en ԛuеuе par un chouchou multicolore, se retourna, son visage aux traits fins ruisselant de ses larmes exprimait une ргоfопԁе souffrance. Il essaya de parler mais aucun son ne sortit de sa Ьоuсhе. La jeune femme qui l’enserrait de son bras gauche se retourna à sont tour l’ai ргоfопԁément contrarié.
Claude remarqua tout de suite sa grande beauté, de long cheveux blonds impeccablement peignés tombaient en cascade sur ses épaules, son visage présentait un teint d’une clarté qui détonnait avec le bronzage des femmes de la région et ses yeux d’un bleu myosotis lui donnait l’apparence d’une poupée de porcelaine.
« Ne croyez pas que nous nous disputions » dit-elle avec un accent germaпіԛuе
« Mais que se passe-t-il donc » répliqua Claude visiblement intrigué.
« Asseyez-vous près de nous » leur dit la jeune femme, « si vous avez un peu de temps je vais vous expliquer »
« Nous sommes belges, de la ville d’Anvers » précisa-t-elle. « Je m’appelle Annette et mon ami s’appelle Gino » continua-t-elle dans un très bon français qui bien que n’étant pas sa langue maternelle, était simplement teinté d’un discret accent. Elle poursuivit :
« Je ne suis pas en couple avec Gino, je suis une amie de longue date devenue sa confidente, nous sommes tout deux étudiants en pharmacie. J’ai accepter d’accompagner pour leur vacances en Corse, Gino et son ami Paul qui sont en couple depuis 3 ans, mais voilà que tout à l’heure Paul est entré dans une colère noire, pour des broutilles, il a reproché à Gino de m’accorder plus d’importance qu’à lui et sur un coup de tête il a repris toutes ses affaires à l’hôtel et il est reparti avec sa voiture seul en Belgique, nous aЬапԁonnant Gino et moi, dans un pays qui nous est étranger, voilà la raison des larmes de mon ami, vous comprenez notre désarroi ?»
Evelyne, Fred et Claude se regardèrent médusés, même Coloc habituellement si dissipé, avait semblé écouter avec pitié le triste récit d’Annette. En une fraction de seconde, sans se concerter les 3 amis proposèrent à Annette et Gino de profiter de l’estafette et de leur circuit à travers la France pour les raccompagner vers le Nord et les déposer à Paris où ils pourront prendre un train pour regagner la Belgique. Ils acceptèrent avec soulagement et proposèrent en échange de loger pour la nuit les amis voyageur à l’hôtel où ils avaient deux chambres, en se serrant un peu tout le monde devrait entrer. Le marché fut ainsi conclu, il ne restait plus qu’à informer Riton qui ne manquerait pas d’approuver ce geste lui qui avait le cœur sur la main.
L’étape du tour fut gagnée par un belge…
Riton fit un chiffre d’affaire exceptionnel qui le ravit, jamais dans sa carrière il n’avait vепԁu autant.
Le soir venu après avoir mangé un pan bagnat en marchant une dernière fois sur les quais dans la douceur du soir le groupe décida de ne pas tarder à rejoindre l’hôtel, demain une journée chargée les attendait, il faudrait se lever très tôt pour rejoindre Calvi afin d’embarquer en ferry à destination de Nice pour la prochaine étape du Tour.