A treize ans, on est encore un enfant. Le père de Joris lui répétait constamment que, de ce fait, il n’avait pas droit à la parole, quel qu’en soit le sujet. Il devait laisser son tuteur légal s’enivrer du matin au soir et accepter ses humeurs, sa violence sans le jauger avec son regard de reproches. Il ne devait pas non plus défendre sa mère en larmes lorsqu’elle servait de défouloir à sa haine du patronat qui l’avait mis « out » à cause de sa « grande gueule ». Mais Joris savait que c’était l’alcool qui l’avait mis au chômage, et non l’inverse.
Joris haïssait son père au même niveau qu’il le vénérait. Il en avait peur, mais en même temps, il le comprenait. Lui-même n’aurait pas supporté une femme aussi insignifiante, dénuée de personnalité. Son père, lui, avait un vrai charisme. Joris était convaincu qu’Il aurait pu être un grand dictateur, « s’il en avait eu les соuіllеs ». Et c’est ce qui lui plaisait. Il lui montrait ce que devait être un homme, un vrai. Mais comme sa femme, il portait la marque de la médiocrité. Joris s’était juré de ne pas suivre leur exemple. Ne jamais boire, ne jamais fumer, avoir la connaissance. Etre un être parfait.
Très jeune, Joris s’était passionné pour les grandes figures de l’Histoire mondiale. Il lisait avec passion, intégralement, trois à quatre gros volumes des biographies des Grands Hommes qu’Il admirait ; en particulier, Napoléon pour son intelligence militaire, et Hitler pour sa soif de conquête. C’est ce dernier qui l’avait décidé à s’engager politiquement. Après une période d’initiation au cours de laquelle il avait dû, entre autres, se faire graver au fer rouge le symbole néonazi sur l’épaule droite, et avoir assisté à l’exécution d’un « pédé d’arabe », Joris ne pouvait plus « se la fermer » face à celui qui lui servait de père. Car il pensait par lui-même dorénavant.
Il avait tant lu sur le nazisme. Son père avait tort : il n’y a pas un âge minimum pour choisir son camp. Et le sien était pour lui la seule voie inéluctable de salut ; les adultes étaient de son avis, puisque le parti français arrivait invariablement en troisième position aux élections. Sa haine pour les autres politiciens s’était décuplée en apprenant que les soi-disant « défenseurs des droits de l’Homme » leur interdisaient d’exercer le pouvoir que les électeurs leur avaient confié ! « Les dictateurs, c’est vous ! », avait-il lancé lors d’un meeting électoral du candidat sortant, juste avant de lancer sa grenade dégoupillée en direction de l’orateur effaré. Pendant ce temps, la police découvrait les corps inertes de ses parents. Joris avouera plus tard qu’il avait forcé sa mère à taillader et finalement poignarder son tortionnaire ; puis lui-même avait battu sa mère à coup de marteau pour la punir de sa faiblesse. « Le sang impur doit couler », avait-il conclu face à des policiers horrifiés.