Je souhaite vous présenter un livre (de 103 pages) qui me tient à cœur :
"L'Imprescriptible. Pardonner ? Dans l'honneur et la dignité",
de Vladimir Jankélévitch.
Ce livre de philosophie morale, écrit à l'occasion de l'approche de la prescription - vingt ans après les faits - des horreurs d'Auschwitz et de Birkenau, camps de la mort planifiée et industrielle, est un livre majeur.
Mordant par son ironie, incisif envers ceux qui ont toujours penché vers l'oubli car le régime de Pétain et l'occupation de la France par les nazis ne leur auront guère causé que des problèmes de ravitaillement, moqueur envers les bourreaux et leurs complices et adeptes - ceux qui agirent, ceux qui prêtèrent leur inattention et leur silence comme le pape ou le président américain à la possibilité de l'anéantissement des juifs, ceux qui furent des opportunistes pour qui la carrière se dégageait à la faveur d'interdictions professionnelles, ceux qui comme les Polonais déléguèrent le crime à un autre peuple -, ce livre médite sur les conditions du pardon.
Ceux qui ont commis ou assisté, sans mot dire, les atrocités ont-ils jamais demandé pardon ?
Se sont-ils tournés vers les montagnes de cendres, vers les montagnes de cheveux entreposés, vers les dents arrachés aux cadavres avant leur incinération dans les crématoires et les ont-ils considérés ?
Non, car cela réclamerait d'eux qu'ils reconnaissent une identité humaine à leurs victimes juives qui ont subi un crime qui leur déniait toute humanité, tout être.
L'anéantissement des Juifs d'Europe constitue un crime unique, et d'une signification universelle qui en fait l'affaire de tous, en ce sens qu’était visée et niée l'humanité constitutive d'eux-mêmes et de tout être humain.
Pouvons-nous, nous les survivants, nous substituer aux victimes ? Non, nous ne pouvons que les sauver d'un second anéantissement, accompli par le temps et par les oublieux, en nous remémorant, et en commémorant.
Il y a des déploiements d'ignominie, de tortures raffinées et de subtilités регvегses qui d'être comparés à d'autres, perdent, au profit des révisionnistes de l'histoire, leur singularité ; c'est tout profit pour les successeurs des bourreaux. A noter que Jankélévitch, jamais, ne commet l'indécence de mettre au sommet la souffrance juive ; il souligne que sa singularité est de s'être accomplie dans la déréliction, l'absence d'issue, l'aЬапԁon et l'indifférence à peu près générale.
Il n'y a que du silence à Auschwitz ; ce silence ne peut pas pardonner. Les êtres anéantis ne peuvent pas pardonner.
Alors, que la France et d'autres nations aient déclaré les crimes de guerre imprescriptibles est une bonne chose, saine et digne ; mais ce qui rend ces crimes - les six millions de Juifs anéantis - imprescriptibles est que certaine monstruosité, certain mal acharné, certain vice métaphysique ne peut provoquer qu'un ressentiment sans fin, à la hauteur de l'infamie.
TEL EST LE PROPOS DE VLADIMIR JANKÉLÉVITCH : "Le pardon est mort dans les camps de la mort" !
C'est une saine réflexion qui jette une lumière crue sur toutes les commissions de "vérité et réconciliation" et sur toutes les lois d'amnistie qui, ici et là, en Espagne après le franquisme, au Rwanda après la génocide, en Afrique du Sud après l'apartheid, tentent de bâillonner les cris des proches, des parents et des amis des assassinés.
Le livre de Vladimir Jankélévitch est disponible dans la collection "Points" (dont il est le numéro 327), pour cinq euros et soixante centimes, ISBN (numéro identifiant international du livre) : 2-02-029695-0.