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La Ballade de la Geôle de Reading - Littérature & poésie

Sujet de discussion : La Ballade de la Geôle de Reading
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 14 mai 2012 à 21:10
    Oscar Wilde, le plus irlandais des auteurs anglais, dandy exacerbé, amateur de bons mots, auteur de pièces à succès qui brillent par l'art de la conversation et du paradoxe, auteur de "Le portrait de Dorian Gray" était hоmоsехuеl, comme chacun le sait.

    Amoureux du jeune Queensberry, il fut accusé, par le biais d'une carte déposée à son club par Queenberry père (celui qui a codifié les règles de la boxe), de "poser au sоԁоmіtе". Il porta plainte, et son procès, en 1895, se referma sur lui comme un piège, puisque d'accusateur il devint accusé, et qu'il eut à purger une peine de prison pour "atteinte aux bonne mœurs" et parce que le tribunal jugea que l'injure de Queensberry père de "poser au sоԁоmіtе" était on ne peut plus fondée, juste, raisonnable et adéquate.

    De cette ехрéгіепсе de la prison ont résulté "De profuпdis", une longue lettre de rupture, déchirante, avec le jeune Queensberry, et ce qui pour moi est un poème majeur de langue anglaise "The Ballad of Reading Gaol", qui hausse Wilde à la hauteur d'un François Villon, pour l'épaisseur vécue du sentiment, pour la confraternité avec les condamnés (le poème est dédié à un condamné à la pendaison, un ancien "Royal Horse Guard" qui avait tué son amour), pour son sens du détail évocateur, et pour une disposition graduelle on ne peut plus maîtrisée.

    Quelques extraits de "Ballade de la Geôle de Reading", dans la traduction en octosyllabes par Anne Dagnac, parue au Bon Chameau (ISBN 2-912496-07-1 ; année de parution, 1999).

    Pour vous inviter à relire Oscar Wilde, ses pièces, ses proses, les minutes de son procès où il fait la preuve d'un courage et d'une tenue exemplaires face à la cour et au puritanisme de son époque, ne serait-ce qu'en défendant la spécificité de l’œuvre d'art qui, pour lui, n'a rien à faire avec la morale ou l'amoralité : elle est belle et se tient, ou alors elle n'est rien d'autre que rien.

    Il n'avait pas son habit rouge
    Car vin et sang sont rouges,
    Et sang et vin tachaient ses mains
    Quand on le trouva près du corps
    De son amour, ô pauvre morte,
    Qu'il avait tuée dans son lit.

    Il marchait parmi ceux qu'on juge
    Vêtu d'un vieux costume gris,
    Une casquette coiffait sa tête ;
    Son pas semblait gai et léger ;
    Mais je n'ai jamais vu un homme
    Fixer si tristement le jour.

    (...) Moi, avec d’autres âmes en peine,
    Je marchais en un autre cercle,
    Me demandant s'il avait fait
    Petit délit ou grand forfait,
    Quand dans mon dos on murmura :
    "Çui-là, c'est la cord' qui l'attend."

    Ô Christ ! les murs de la prison
    Soudain semblèrent vaciller,
    Et le ciel au-dessus de moi
    Devint un casque d'acier fondu ;
    Moi qui était une âme en peine,
    Ma peine, je ne la sentais plus.

    (...) Si chêne et orme font éclore
    Au doux printemps de tendres feuilles,
    Effroyable est l'arbre à potence
    Dont un serpent mord les racines :
    Vert ou sec, un homme mourra
    Avant qu'il n'ait porté de fruits !

    C'est au très-haut siège de grâce
    Que tous nous aspirons d'en bas ;
    Mais qui donc, cravaté de chanvre,
    Voudrait du haut d'un échafaud
    Voir par un collet d'assassin
    Le ciel - pour la dernière fois ?

    (...) [après l'exécution]
    On ne célèbre pas de messe
    Le jour où ils pendent un homme ;
    Le cœur du prêtre est bien trop lourd,
    Ou son visage est bien trop blême,
    Ou bien dans ses yeux est écrit
    Ce que nul homme ne doit voir.

    Jusqu'à midi ils nous laissèrent
    Cloîtrés, puis la cloche sonna ;
    Et les gardiens, aux clés qui tintent
    Ouvrirent nos cellules aux aguets ;
    Alors, par l'escalier de fer,
    Chacun quitta son propre Enfer.

    Nous retrouvâmes l'air pur de Dieu,
    Mais quelque chose avait changé.
    L'un avait le visage blême
    De peur, un autre l'avait gris ;
    Et je n'ai jamais vu hommes tristes
    Fixer si gravement le jour.

    Je n'ai jamais vu hommes tristes
    Fixer d'un œil si grave
    Ce petit coin de tente bleue
    Que nous, prisonniers, nommons ciel,
    Ni le cours joyeux des nuages
    En leur étrange liberté.

    Mais certains d'entre nous marchaient
    La tête basse, qui savaient
    Que si tous avaient eu leur dû,
    C'est eux qui auraient dû mourir :
    Lui n'avait tué qu'une vie,
    Eux, ils avaient tué des morts.

    Car celui qui pèche deux fois
    Rouvre les plaies d'une âme morte,
    La sort de son linceul taché,
    Et la fait saigner à nouveau,
    La fait saigner à grosses gouttes,
    La fait saigner en pure perte.

    (...) Je ne sais si les lois sont justes
    Ou si les lois ont tort ;
    Tout ce qu'on sait en prison
    C'est que le mur en est solide,
    Que chaque jour dure une année,
    Une année dont les jours sont longs.

    Mais je sais cela : que les lois
    Faites par les hommes pour l'homme
    Depuis le premier fratricide
    Inaugurant ce triste monde
    Jettent le grain gardent l'ivraie
    Avec un crible des plus vils.

    Je sais aussi - sage serait
    Que chacun sût de même -
    Que l'homme élève ses prisons
    Avec les briques de la honte
    Et des barreaux qui cachent au Christ
    Comment les hommes broient leurs frères.

    (...)A Reading, prison de Reading,
    Il y a un tгоu de honte.
    Dedans repose un malheureux
    Dévoré par les dents de flammes.
    Dans un linceul ardent il gît
    Et sa tombe n'a pas de nom.

    Qu'en ce lieu, jusqu'à l'heure
    Où le Christ rappellera les morts,
    En silence il repose.
    Nul n'est besoin de gaspiller
    Pleurs inutiles et long soupirs :
    Il avait tué ce qu'il aimait,
    Et pour cela devait mourir.

    Et tous les hommes tuent ce qu'ils aiment,
    Que chacun se le dise.
    Certains le font d'un regard fier,
    D'autres le font d'un mot flatteur ;
    Le lâche tue d'un doux Ьаіsег,
    Le courageux choisit l'épée...

    [Et là Oscar Wilde signe la fin de son poème de son matricule à la prison de Reading : C. 3. 3.]
  • darkangel59 Membre expérimenté
    darkangel59
    • 14 mai 2012 à 21:34
    J'ai lu ce livre et bien d'autres, il fait parti de mes auteurs favoris !!!!
  • asiat68 Membre émérite
    asiat68
    • 14 mai 2012 à 21:56
    J'aime beaucoup Oscar Wilde, merci d'avoir posté ce superbe poème.

    De lui, une courte citation que j'aimerais dédier à tous les adhérent(e)s de Tongay :

    Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre

    Et pour certains, je conseillerais un ouvrage d'Oscar Wilde : Le Portrait de Dorian Gray
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 14 mai 2012 à 21:59
    J'ai lu ce livre et bien d'autres, il fait parti de mes auteurs favoris !!!!

    C'est bien.


    Souvent les auteurs les plus connus sont les moins lus ; cette vérité-là n'est pas absolue, la preuve !!! Moi, je n'attends que des encouragements pour me replonger dans Wilde : c'est l'effet-boomerang de ce sujet ; voir en quelle estime on le tient est une forte incitation à relire et à découvrir ce que, de Wilde, je n'ai pas encore lu ! Merci.

    ---
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 15 mai 2012 à 23:00
    Mea culpa :

    En écrivant que "Wilde était hоmоsехuеl, comme chacun le sait", j'ai commis un raccourci navrant, qui a amputé cet homme courageux d'une moitié de sa vie, car il fut marié, par amour, et il eut des fils, qui eurent des fils.

    Et c'est Vivian Holland (la famille Wilde a dû changer de nom), son petit-fils, qui a écrit une biographie de son grand-père et qui a surveillé la publication des minutes du procès d'Oscar Wilde. Vivian Holland était (ou est ?) très fier, à juste titre, du courage d'Oscar Wilde face à la pudibonderie victorienne, telle qu'elle s'est exprimée par le jugement qui l'a condamné à la prison.

    Voilà : honte à moi pour un raccourci, une simplification malvenue. Comme si on était hоmоsехuеl OU ("ou" exclusif) hétéгоsехuеl OU (toujours le "ou" exclusif) "Ьіsехuеl" (manière bien grossière de désigner un régime de passions intérieures ayant pour "objet " les hommes et les femmes - ou vice-vегsа, comme il vous plaira). C'est aussi parce qu'il bousсulait cette classification que Wilde fut condamné à la geôle.

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