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"Le mythe est le rien qui est la totalité" - Littérature & poésie

Sujet de discussion : "Le mythe est le rien qui est la totalité"
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 9 juillet 2015 à 00:13
    De Fernando Pessoa, la traduction par mes soins, mais sa langue est limpide, d'un poème de l'unique œuvre lyrique en volume que ce poète visionnaire aura publié, en portugais, de son vivant, "Mensagem" (récompensé sur un quiproquo douteux par l'office de la propagande de l’État Nouveau, l'Etat corporatiste de Oliveira de Salazar).

    Le plus captivant avec cet homme, qui se définissait comme un libéral de type anglais en politique, qui était un mystique en religion, un amateur d'astrologie, un amateur des initiations dispensées par les Roses-Croix (et un des rares à avoir protesté dans les journaux contre l'interdiction de la Franc-maçonnerie par l’État Nouveau), et à partir duquel se dessine tout le modernisme au Portugal, c'est que ses divers hétéronymes (F. Pessoa ayant écrit sous des identités diverses ayant leur propre biographie) offrent de lui une palette fastueuse.

    Je traduis "O mytho é o nada que é tudo" (oui, c'est l'orthographe portugaise de F. Pessoa qui tenait à l'étymologie, d'où "mytho" e non "mito").

    C'est un des premiers poèmes de "Mensagem". Sous le titre "Ulisses" : Ulysse est le héros fondateur de "Olissipo", qui est le nom ancien de Lisbonne ; on ne peut mieux revendiquer une parenté avec les Grecs fondateurs pour le peuple portugais que Fernando Pessoa disait "infecté de christianisme, lui qui était le moins doué pour cela" et "Ce n'est pas un hasard insignifiant si Lisbonne et Athènes se trouve à peu près à la même latitude."


    "Le mythe est le rien qui est la totalité,

    Le soleil lui-même qui entrouvre les cieux

    Est un mythe fait de brillant, de mutité -

    Le corps mort du divin.

    Celui-là qui, ici, a fixé son attache.

    Du fait même qu'il était inexistant.

    Par son inexistence, il nous aura suffi.

    De n'être pas venu, il se portait vers nous

    Et il nous a nourri.

    Ainsi va la légende qui va se défaisant

    Pour рéпétгег dans la réalité,

    Et qui, la fécondant, va poursuivant son cours.

    Dans ses soubassements, la vie à moitié

    Par l'effet de ce rien meurt.



    ( Il s'agit - il faut le souligner - d'une interprétation du poème de Fernando Pessoa ; je m'efforce à l'alexandrin, ou à sa moitié, et au décasyllabe ; autant vous dire que les traducteurs littéraux y trouveront bien à redire et les cheveux, même, leur dresseront sur la tête).



    ------------------------------------------------------------------


    Pourquoi ce poème ?

    Parce que toute réalité sociale se fonde dans les mythes (de grands récits porteurs d'espérance, l'espérance n'étant pas seulement une compensation psychologique, les mythes étant des vecteurs constructeurs de l'histoire humaine).

    En l'occurrence, pour Fernando Pessoa, c'est le mythe du Cinquième Empire ("Quinto Império"), du Roi Caché ("O Encoberto") qui doit revenir par un matin de brouillard et de neige depuis son Аvаlon pour réaliser l'empire de la justice et de l'unité humaine enfin établi : c'est un mythe messiaпіԛuе, typiquement portugais, celui du "sébastianisme", "o sebastianismo" (du nom du roi portugais, Dom Sebastião, mort sans héritier à Alcácer-Kibir, au Maroc, lors d'une guerre de conquête, en 1578, ce qui ouvrit l'époque philippine, l'annexion du Portugal à la Castille pour soixante années).

    LE MYTHE DU ROI DEVANT REVENIR SOUS UN AVATAR EST LE MYTHE RELIGIEUX ET NATIONAL, DISTINCTIF DU PORTUGAL, DE L'AVIS DE NOMBREUX OBSERVATEURS DE LA MENTALITÉ COLLECTIVE DU PEUPLE PORTUGAIS, PUISANT A TROIS SOURCES : IL PUISE DANS LE RÊVE DE NABUСНОDONOSOR (tel qu'interprété dans le prophète Daniel, donc dans le messianisme juif) ; DANS LA TRADITION ARTHURIENNE DU ROI SURVIVANT EN АVАLON ET DEVANT REVENIR (dans la matière celte, telle qu'ont pu l'élaborer les romans du Graal) ; ET DANS LA TRADITION CHRÉTIENNE DU ROYAUME DE JUSTICE DES DERNIERS JOURS (dans le messianisme chrétien d'une unité du genre humain établi par le Christ Jésus).




    Vous avez une édition bilingue de "Mensagem" disponible en France, aux éditions José Corti, sous le titre "Message", livre dont le numéro identifiant est 2-7143-0248-3, pour une quinzaine d'euros.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 9 juillet 2015 à 00:44
    Fernando Pessoa, par son ampleur, est sans aucun doute, pour l'Europe du vingtième siècle, l'équivalent de Pablo Neruda pour l'Amérique du Sud.

    Et je remarquerai que sa grandeur naît malgré ou grâce à ses contradictions internes (ce que savait Héraclite, il y a deux millénaires et six siècles, à Éphèse).

    L'on n'a cessé, à la fin du vingtième et au début du vingt-et-unième siècle, de mettre au point des éditions critiques des textes inédits laissés par Fernando Pessoa, puisque celui-ci aura publié de son vivant, seulement, un texte appelé "Interregno", "Mensagem", des poèmes portugais dispersés notamment dans les deux numéros de la revue "Orpheu" - capitale dans le développement sensible au Portugal - ainsi que trois recueils de poèmes anglais (F. Pessoa étant parfaitement bilingue, pour cause d'éducation en Afrique du Sud).



    Puissiez-vous éprouver à la lecture de F. Pessoa

    lui-même ou bien de ses hétéronymes, Alberto Caeiro,

    Álvaro de Campos, Ricardo Reis, (...), la richesse d'une

    sensibilité multiple et étonnante, et la fécondité des mots

    précis et très évocateurs. Il est l'une des merveilles

    du Portugal, qu'on se le dise, encore et toujours.


    Et il est largement traduit en langue française, en éditions de poche, de plus !
  • 50_nuances_de_bi Membre suprême
    50_nuances_de_bi
    • 9 juillet 2015 à 01:16
    Et sinon il aimait la morue Fernando Pessoa ?
    Sa femme était poilue ?
    Aimait il le fado de Amalia Rodrigues ?
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 9 juillet 2015 à 01:45
    Bonsoir, Superbi,


    - Fernando Pessoa était, probablement, mais l'on n'en est pas certain, hоmоsехuеl, il était célibataire ; passait-il à l'acte hоmоsехuеl, nous n'en savons rien, car cet homme avait une vie très secrète d'employé pour la correspondance étrangère de nombreuses entreprises établies à Lisbonne, et ce qui demeure de lui, ce sont ses textes et non des récits graveleux de sa vie.

    - Fernando Pessoa n'aimait pas le Fado, parce qu'il distinguait dans ce genre musical un côté fréquemment doloriste et donc minant la vitalité du peuple portugais.

    --- Superbi, si je livre autant de détails sur F. Pessoa,
    c'est aussi parce que sa personnalité éclatée
    ("Pessoa" signifiant "personne" en portugais, véridique)
    a déterminé son mode d'apparition sur la scène culturelle :

    son effacement comme coordonnateur principal de revues littéraires,
    l'inachèvement presque total et nihiliste de son œuvre personnelle,
    les hétéronymes exprimant des facettes diffractées de son être,
    une publication - de son vivant - seulement abondante
    dans une langue étrangère, l'anglais, acquis
    lors de son séjour, après le remariage de sa mère,
    en Afrique du Sud, la grande solitude d'une vie
    qui se sera achevée par une cirrhose décompensée,
    dans la solitude d'un hôpital, seul, face à la mort.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 9 juillet 2015 à 01:55
    - Quant à A. Rodrigues, à peine était-elle adolescente (elle avait quinze ans), et donc commençait-elle à chanter, quand Fernando Pessoa mourait, en Novembre 1935.

    Je ne doute pas que Fernando Pessoa aurait reconnu la grandeur d'Amália Rodrigues : d'une femme longtemps analphabète, sortie de la misère, capable de traduire autant d'émotions et rénovant le Fado avec ses textes mis en musique par Alain Oulman.
  • 50_nuances_de_bi Membre suprême
    50_nuances_de_bi
    • 9 juillet 2015 à 01:57
    Et Linda De Suza dans tout ca alors
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 9 juillet 2015 à 02:14
    En réponse au message de superbi :

    Et Linda De Suza dans tout ca alors

    Ô, Ben Hur, arrête ton char, ne te fais pas plus idiot que tu ne l'es, Superbi ; je sais que tu es capable de finesse et de distinction (peut-être ne t'en es-tu pas même avisé par toi-même !), nous allons, donc, laisser et la morue et Linda de Sousa (rebaptisée en France Linda de Suza) ; après tout, si ce sujet te paraît trop détaillé, passe ton chemin, n'est-ce pas ?


    --- Curieuse pratique que celle de tourner à la dérision un sujet un tant soit peu construit.
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 9 juillet 2015 à 14:34
    En réponse au message de climax69007 :

    Ô, Ben Hur, arrête ton char, ne te fais pas plus idiot que tu ne l'es, Superbi ; je sais que tu es capable de finesse et de distinction (peut-être ne t'en es-tu pas même avisé par toi-même !)

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  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 9 juillet 2015 à 16:28
    Oui, ce qui est intéressant, c'est la mise en évidence au travers du texte de Fernando Pessoa du mythe du Désiré, du Cinquième Empire, qui aura connu bien des métamorphoses : le texte cité n'en est qu'une parmi d'autres !
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 10 juillet 2015 à 01:37
    Voici LE site qui contient toutes les œuvres publiées de Fernando Pessoa.

    Mais, c'est comme tout le reste pour cet homme, on n'en viendra jamais au bout, ce qui est rassurant !

    http://arquivopessoa.net/

    Ce sont des textes en portugais, mais, comme signalé plus haut, Fernando Pessoa était parfaitement bilingue, et s'il a choisi d'écrire en portugais, toute sa jeunesse en Afrique du Sud le destinait à écrire en anglais, ou en afrikaans après tout (mais vue la politique impériale de l'Angleterre, la guerre des Boers, ... l'afrikaans était minoré) ; il y a, donc, aussi ses poèmes anglais.

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