Oui, un livre peut se suivre à la trace.
Il porte la trace de l'histoire, qui lui accorde une généalogie, cette âme supplémentaire qui supplée l'âme qui émane de son thème.
Il ехhіЬе la trace de son papier de confection, ici un papier épais, moelleux cependant, d'une pâle blancheur, où les caractères d'imprimerie (le livre est un "faux volume", c'est-à-dire la réunion sous une même couverture d'ouvrages distincts, imprimé en mil neuf cent trente-quatre) enfoncent leurs traces.
Il ехhіЬе, aussi, une couverture "reliure demi-cuir, bon état, couv. convenable, dos à nerfs, intérieur frais, ..., 120 + 126 pages, plats et contre-plats jaspés, dos à 5 nerfs, 1 annotation et 1 tampon sur chaque page de titre".
Ce volume traite de "La journée du 6 février" par Georges Iman et de "Les journées ouvrières des 9 et 12 février" par Marc Bernard : l'alliance du feu et de l'eau !
Toutes deux publiées comme "publications des éditions Bernard Grasset, en 1934, dans la collection "Les Grandes Heures", ces brochures tгапsmettent aussi les traces de l'histoire dans le feu vif de l'action et de l'opinion (un mois de décalage par rapport aux événements)
La première nous décrit d'un point de vue de ligueur la journée de manifestations des anciens combattants, unis aux ligues fascistes... et au Parti communiste stalinisé, qui, dans sa troisième période, déclarait les socialistes SFIO "social-fascistes", empêchant toute unité d'action de la classes ouvrière et des classes laborieuses.
La deuxième nous décrit les journées où, contre le cours stalinien du Parti communiste, et contre l'inertie bourgeoise du Parti socialiste SFIO, les deux manifestations, communiste et socialiste, appelées à deux endroits différents, ont rompu les digues et se sont rejointes, aux cris de "Unité, unité".
La trace intérieure est celle de la signature et du tampon d'un conseiller général de la Gironde, qui a fait relier ces deux brochures, et, fait cruel, ce pour quoi les membres du PS et du PCF auront crié "Unité, unité", et mêlé leurs ranges, la date manuscrite nous l'atteste - le 1er octobre 1940 - aura été vaincu : le nazisme met alors à feu et à sang toute l'Europe !
Car l'unité ouvrière aura été dévoyé par les bureaucraties, celle du Kremlin et celle de la SFIO, en Front populaire, en unité d'action avec le Parti radical-socialiste, le parti du capitalisme, celui qui mettra hors-la-loi le PCF et qui accordera les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
Et, sur la tranche de l'ouvrage relié, en bas, nous avons la trace des initiales de ce Raymond Guyon, conseiller, pardon "Conseiller Général de la Gironde" : R. G.
Je vous laisse le soin de suivre, grâce aux moteurs de recherche ou grâce à la mémoire, à la trace la destinée de ce "Conseiller Général", de savoir ce qu'il fêtait par cette mise sous reliure de deux brochures, le fascisme à la française ou un regret de la défaite de cette unité d'action PS-PCF & CGT-CGT(U) célébrée par l'écrivain Marc Bernard.
Il est caractéristique que les fascistes laissent peu de traces dans l'histoire de la littérature.
Ce n'est pas le cas de Marc Bernard, qui est l'auteur de fictions, nouvelles, romans, des plus fins et dignes de la lecture.
A propos de R.G., il me vient à l'esprit que c'est, en général, grâce à des canailles que nous avons des traces de la vie des peuples, de leurs conceptions, ainsi des interrogatoires et procès inquisitoriaux qui ont, au moins, donné deux livres majeurs, l'un étant "Montailloiu, village occitan", (là, la "Sainte Inquisition est à la chasse des cathares), l'autre étant "La fromage et les vers : l'univers d'un meunier du XVIe siècle" (là, la "Sainte Inquisition" chasse le matérialisme d'un dénommé Menocchio, imaginant que tout dans l'univers est le résultat de la fermentation, serait-ce "Dieu", dans le Frioul, en Italie)