Sujet de discussion : "Music for a while", par Alfred Deller
sergeclimax69007
Membre suprême
30 août 2013 à 00:36
"Music for a while", sur le passage du temps, jusqu'à ce qu'intervienne Alecto (du grec ancien, "la colère incessante et impitoyable"), une des trois Furies, spécialement chargée de la condamnation des fautes morales, surtout de celles commises envers les dieux ; de Henry Purcell ; une interprétation par une voix si ferme et nuancée, si déliée et maîtrisée, si dépourvue d'effets et nous tгапsmettant juste la chiquenaude qui nous touchera, Alfred Deller, dont on sent bien ici qu'il est un contre-ténor et non une basse-contre.
Plus bas, vous trouverez des détails, émouvants, sur Alfred Deller, qui n'aimait pas travailler, qui passait son temps à lire de la poésie, qui aura par sa voix de contre-ténor redonner vie à un répertoire qui, sans lui, aurait été passé aux oubliettes de la musique et qui dut surmonter bien des préjugés quant à la virilité des voix masculines : à quoi tient l'honneur dans lequel sont tenus des compositeurs !!!
Sur Alfred Deller (avec la citation du texte ici chanté) :
[...] Le témoignage qui nous importe à ce sujet est celui du compositeur Michael Tippett qui entend, pour la première fois en 1943, dans la cathédrale de Canterbury, Alfred Deller entonner les premières mesures de "Music for a while" d’un musicien alors à peu près inconnu, Henry Purcell. Tippett ressent le choc décisif suivant :
"A ce moment, j’ai eu l’impression que les siècles remontaient leur cours."
Music for a while shall all your cares beguile : Wond’ring how your pains were eas’d, And disdaining to be pleas’d, Till Alecto free the dead from their eternal Ьапԁs, Till the snakes drop from her head, And the whip from out her hands. Music for a while shall all your cares beguile.
La musique, un instant, allégera votre détresse [...]
Sans l’apparition géniale de Deller, l’existence de la voix de contre-ténor, mais aussi celle de son répertoire qui va de Guillaume de Machaut à Jean-Sébastien Bach, dont tout le XIXe siècle avait programmé la destruction rageuse, accomplissant ainsi une violente vengeance contre la féerie, n’aurait jamais dû revenir : si tel avait été le cas, elle aurait emporté avec elle une liberté radicale. Non pas une anomalie, mais la vibration en surplus, triomphant de la négation dont elle a été l’objet [...]
[...] Il faut rappeler à quel point entendre la voix de Deller, sortant apparemment du corps qu’il avait, a déstabilisé son époque. Il le dit lui-même :
"Je suis un grand gaillard, d’un mètre quatre-vingt-huit et de quatre-vingt dix kilos. Je suis père de trois enfants. J’ai été bon footballeur et joueur de cricket, fils d’un gymnaste professionnel. Et maintenant, parce que je chante avec un type de voix peu écouté depuis cent cinquante ans, je dois m’attendre à ne pas être considéré comme un homme véritable." [...]
jiminy
Membre émérite
30 août 2013 à 06:44
Le XIXè siècle rageur et destructeur de la féérie ? Que l'image est forte... et peu crédible !!!
Je ne le pense pas du tout, c'est tout simplement l'évolution normale des choses, la créativité d'autres compositeurs, la non stagnation dans un genre déterminé. Tôt ou tard Purcell aurait été redécouvert avec les moyens contemporains d'une l'époque "x".
N'oublie pas que tout est phénomène de mode, d'époque et d'évolution, et un éternel recommencement. Tout finit inéluctablement par tomber en désuétude, et tout, après des lustres, finit par renaître et remis au goût du jour sous une forme différente.
Lam usique est notre amitié
Le contre-ténor - avec toute son intégrité physique, lui- qui succéda à la voix de castrat, n'existait pas. Deller, chef de file, permit ainsi de remettre en lumière tout un répertoire moyenâgeux et baroque, réservé aux castrats, tombé dans les oubliettes provisoires du temps, de revoir le jour.
Il reste un modèle pour tous les contre-ténors qui suivirent. Il ne se cantonna pas uniquement dans ce répertoire perdu qu'il affectionnait et remis en vogue, mais interpréta avec brio du contemporain, tel Britten dans son "Songe d'une nuit d'été".
La musique est notre amitié.
sergeclimax69007
Membre suprême
30 août 2013 à 23:43
Oui, Jiminy, la musique est notre amitié
Je peux bien le déclarer publiquement : tu as la gentillesse et la patience de faire part de ce qui te plaît en matière de musique, sans en faire un domaine clos, réservé, élitiste, car tu ne demandes que l'écoute et, en ce qui me concerne, cela exige un grand effort sur moi-même pour m'admettre, légitimement, à l'écoute de ce qui ne fit pas partie des musiques familiales, donc des habitudes, et de ce qui reste quand on a tout oublié.
--- La phrase excessive que tu relèves est liée à une approche idéologique de la Révolution française, comme égalisatrice des voix, et laissant en héritage au dix-neuvième siècle un modèle de virilité unique quant au chant.
Que n'a-t-on pas imputé à la Révolution française !
Si cette explication historique te paraît tirée par les cheveux, je n'y vois aucun inconvénient. Pour tout te dire, ta vision - l'éternel recommencement, autrement - me convient beaucoup mieux, elle est plus crédible.
--- Oui, le répertoire d'une époque ressurgit toujours, à un moment ou à un autre.
--- Et, rajoutant au portrait d'Alfred Deller, tu nous fait part qu'il ne s'est pas cantonné et confiné au répertoire ancien ; et interpréter Benjamin Britten, ce n'est pas rien. Et c'est bien
Je note, merci Jiminy !
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