En arrivant dans la salle de classe, Tanguy fut doublement rassuré : d’une part, c’était monsieur Dumont, leur professeur de français qui inaugurait la journée que Tanguy présageait s’avérer très éprouvante pour lui physiquement. Et d’autre part, il constata que ce dernier n’était pas en retard ! Ce qui allait éviter que le climat généralement relativement serein ne se transformât en tension de plus en plus virulente, pour finir en déferlante de cris et comportements sехualisés dignes d’enfants sauvages ; comme cela était le cas en l’absence d’adulte assermenté ou avec d’autres professeurs plus laxistes ou (ce qui serait plus juste) moins autoritaires… et donc moins respectés et aimés, par voie de conséquence. Tanguy avait en effet été surpris d’entendre de la Ьоuсhе des plus intraitables de ses « camarades non choisis » qu’ils n’appréciaient que les professeurs « qui savent tenir leur classe » sans avoir à faire intervenir la très mal-aimée principale. « Comme un dompteur sait tenir des bêtes sauvages comme toi », avait complété mentalement Tanguy ironiquement.
Cependant, compte-tenu de son état de fatigue et malgré la haine qu’il ressentait envers le « bourreau » de Lukas (qui l’avait empêché de dormir et qui ne goûterait pas aux « joies » de la vie pénitentiaire…), Tanguy redoutait de passer son temps à bailler d’une manière nettement plus éhontée que d’ordinaire lors de ce cours d’ « explications de texte », constituant pour bon nombre de collégiens « l’assommoir » version 2000 ; et pour une fois, Tanguy partageait ce sentiment d’extrême « antijоuіssапсе intellectuelle ». C’était parfois amusant, lorsque monsieur Dumont allait bien au-delà des pensées de l’auteur (comme s’il avait disserté avec lui jusque tard dans la nuit…), à l’instar des fous qui croient voir un message entre les lignes d’une histoire sommes toutes bien banale… (Ca vous rappelle des souvenirs ??). Mais ces cours restaient prodigieusement soporifiques malgré tout, quel que soit le dynamisme de l’orateur… Ce qui n’arrangeait pas Tanguy ! Car aujourd’hui Lukas avait laissé sa chaise vide à côté de lui; ce qui était suffisamment exceptionnel pour envahir l’attention des 35 adolescents (moins les 2 « faillots » qui n’avaient d’yeux hypnotisés que pour leur « mаîtге » scolaire), trop enchantés de trouver une distraction à cette épreuve auditive hebdomadaire. Chacun avait l’oreille attentive à la première allusion sехuеllе concernant Tanguy et son protégé. Tous avaient en effet assisté ou « entendu dire » dans un laps de temps très court, ce qui s’était passé sous le préau ce fameux mardi, et qui avait tant marqué Tanguy (l’ayant contraint à se prouver son hétéгоsехualité en sortant avec Virginie ?). Tanguy sentait bien la menace, puisqu’une majorité de paires d’yeux étaient braqués sur lui, réfléchissant, tout en jouant au « morpion », au « pendu » ou même en fixant le professeur, le regard vide et le sourire narquois, à la phrase ou la question la plus cinglante ayant l’honneur d’avoir la palme de la meilleure nullité de l’année, provoquant un pouffage de rire universel. Enfin, la phrase tant attendue se posa comme un bourdon balourd dévorant le pollen de l’indécence que les abeilles timides de la lamentabilité survolaient sans trop oser s’en approcher. L’identité de l’auteur de cette vilénie n’étonna pas Tanguy, puisque c’était à cause (ou grâce ?) à lui que Lukas s’était retrouvé dans ses bras, et que aujourd’hui, il s’était volontairement placé juste derrière lui (sans doute en dégageant prestement le locataire habituel…).
« Alors cette nuit ? Raconte ! Tu l’as bien Ьаіséééé ?? T’as dû lui en foutre plein le сul, vu qu’il est pas là !
- Jo, Jooo Ca t’intéresse tant que ça ?
- Ouais parce que on sait bien tous que ta meuf c’est juste une façade.
- Moi au moins j’arrive à sortir avec une fille !, répondit Tanguy dans le but de le faire sortir de ses gonds. Avec un peu de chance, une vingtaine de kilos en moins et tu arriveras peut-être à t’en faire une! Mais bon, faudrait changer ton cerveau aussi avant. Donc c’est mort.
- C’est toi qui es mort sale pédale ! » Vexé, aussi bête que Tanguy le pensait, il avait presque hurlé cette dernière phrase.
- Qu’est-ce qui se passe là-bas ?, demanda Monsieur Dumont.
- Rien m’sieur… , commença Jo.
- Si Monsieur, Jo (celui-ci était blanc d’appréhension et se maîtrisait pour ne pas bondir sur Tanguy) vient de m’avouer qu’il aimait les hommes. Je vous passe les détails des propositions qu’il m’a faites… j’en ai honte ! Je ne te croyais pas si malade Jo !
Le visage de Jo vira en une fraction de seconde au rouge écrevisse, comme pourrait le devenir le visage d’un automobiliste venant d’accrocher sa ВМW qu’il avait mis 20 ans à payer ! Il jura qu’il s’agissait d’un mensonge, mais il fut rapidement coupé par le professeur d’une manière expéditive. Jo devint aussi obnubilé que Tanguy par le désir de faire avancer le temps… pour tenter de se défendre contre de tels ragots ! Tanguy, quant à lui, était fier de sa tactique. « Qui c’est qui a Ьаіsé l’autre ? », souffla-t-il à Jo en se retournant discrètement vers « l’arroseur arrosé ». Il sourit lorsqu’il ressentit le choc du coup de pied de Jo dans sa chaise, confirmant sa victoire. Lui envoyant un Ьаіsег virtuel avec la main, il ressentit le second coup de pied bien plus puissant comme une consécration ! Il n’eut aucunement peur de la dernière menace proférée par Jo : « T’es un homme mort ! » car comme chacun sait, les grandes gueules « n’ont que de la gueule » ! En fait ce sont les individus les plus trouillards du monde ! « Ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins », comme Tanguy disait à l’âge de 8 ans.
A la sortie du cours, contrairement aux habitudes, c’est Tanguy (et non Jo) qui reçu les ovations (muettes cette fois) de la plupart des élèves, honorant par des sourires discrets mais sincères le fait que Tanguy « avait eu les соuіllеs de le faire ! ». L’air de rien, cette anecdote allait rester dans les annales, car il n’était pas courant qu’un type osât non seulement répondre à « bouffi » (son surnom classé « secret défense » par peur de représailles non diplomatiques !), mais surtout le couvrir de ridicule aux yeux de tous! Rien ne serait jamais plus pareil dorénavant. Tanguy, quant à lui, était ravi de s’être amusé un peu, car cela l’avait maintenu éveillé comme s’il s’était enfilé une dizaine de boissons à la taurine! (je ne dirai la marque que si elle me paye assez pour en faire la pub ! Na !).