J'avais déjà annulé deux fois cette rencontre pour des raisons futiles. Et des excuses encore plus minables! Et encore le jour j, je mis je ne sais combien de secondes, et même de minutes avant d’appuyer, fébrile, sur l’interphone. Après que Xavier m’eut permis d’entrer dans le hall de l’immeuble, je devais monter à l’étage. Je pouvais donc encore changer d’avis et m’enfuir ! Mais je devais me décider vite. J’y vais ? Je n’y vais pas ? « Pourquoi remettre à demain ce que tu aurais dû faire hier, mon coco? ». Je montai donc à l’étage. Je marchais lentement, m’arrêtant même, en me posant mille questions : Allait-on se plaire physiquement? Lorsqu’on ne se connaît pas, que l’on ne se s’est jamais vus, même en photo, quel autre aspect de l’autre peut compter dans ce genre de rencontre ? Quoi lui dire ? Comment surmonter cette satanée timidité qui m’empêchait si souvent d’être et de paraître « à l’aise »? Que cherchait-il ? Une relation sérieuse ? Un « Ьоп mоmепt » ? Qu’est-ce que je venais faire ici ? Moi qui ne pensais qu’à fuir dès que j’étais en tête-à-tête avec un homme. Venais-je pour me prouver que j’étais réellement gay ? Ou que je ne l’étais pas ? Je tremblais de la tête aux pieds, comme à chaque rendez-vous avec un inconnu, avec qui je n’avais échangé que quelques phrases sur une messagerie de rencontres sur un minitel. J’envisageais même le pire ! Qu’une Ьапԁе de sauvages homophobes m’attrape et me plante une dizaine de coups de couteau dans le ventre ! Ou que Xavier me viole ! Après tout, je ne savais rien de lui ! Si ce n’était son prénom, sa taille, son poids et son âge. Je ne devais pas me mettre ces idées paranoïaques dans la tête !, me disais-je. « Et de toutes façons, Il est trop tard pour faire marche arrière, mon petit, alors fonce! Qu’est-ce que tu as à perdre ? Te faire refouler ? Ce ne serait pas la première fois !». Je me décidai enfin à sonner à l’appartement n°12, délicatement, comme pour ne pas réveiller un bébé…
La porte s’ouvrit lentement, plusieurs minutes après que je lui eu annoncé ma présence. Pourquoi avait-il tardé à m’ouvrir ? M’avait-il dévisagé à travers le judas pour juger si je valais la peine qu’il me fasse entrer ? Avait-il aussi peur que moi de ce face-à-face ? Ou était-il simplement occupé à vérifier que son appartement était suffisamment bien rangé avant de m’accueillir ? Mon cœur se mit à battre de plus en plus vite au fur et à mesure que j’attendais. S’il n’ouvrait pas dans les secondes qui suivaient, je me jurais de m’enfuir sur-le-champ ! Mais plus le temps passait plus j’étais comme pétrifié sur place, et je finis gelé en le voyant… Mes angoisses disparurent grâce à la survenue soudaine et incontrôlable de mes deux sourires : extérieur et intérieur ! Je ne voulais plus partir ! La seule luminosité de son appartement provenait de son téléviseur et de son ordinateur sur lequel il lisait ses CDs. Cette ambiance feutrée, іпtіmе, conjuguée à mon bonheur visuel me fit croire que je me trouvais au paradis !
Mes ехрéгіепсеs précédentes m’avaient fait prendre conscience qu’on est souvent surpris, déçu dans ce type de rencontre si aléatoire; non pas forcément en mal! On s'imaginait seulement l'autre très différent! Comme les mères qui sont souvent déçues que leur bébé diffère de l'enfant idéal qu'elles s'étaient imaginées ... Sans forcément accoucher d'un alien difforme! Mais ce jour-là, c’était tout le contraire ! Je me croyais en train de rêver ! Xavier correspondait exactement au « prototype » de mon homme idéal : plus petit que moi (1,70m), mince, frêle, avec un visage d’ange que tous les grands peintres auraient aimé avoir pour modèle ! Et ce qu’il était au fond de lui me plut encore plus ! Il était la tendresse incarnée, celui dont on se propose immédiatement de devenir son ami, son confident, son protecteur même ! Il semblait si fragile, si humble. A aucun moment, je n’eus le sentiment qu’il était prétentieux ou qu’il se moquait de moi. Les personnes que j’avais rencontrées avant lui cherchaient le « partenaire idéal » selon leurs critères très « gays » tels que porter des vêtements « flashion » ou aduler Mylène Farmer ! Xavier se fichait des apparences. Il n’était pas « superficiel ». C’était une qualité rare qui m’a particulièrement attiré chez lui.
Mais cette attirance physique et mentale était-elle réciproque ? Ces réponses si brèves à mes premières questions et ces silences prolongés répétés pendant la soirée étaient-il liés à sa timidité, son caractère asocial ou à son impossibilité de m’avouer que je « n’étais pas son style » ? Mon cœur avait atteint son paroxysme de battements effrénés. Je le sentais jusque dans ma gorge. Je me sentais jugé comme à l’огаl du bac, mais l’échec à cet « examen » aurait été bien plus dramatique ! Je balbutiai des phrases d’une voix si affaiblie par l’émotion qu’il me demanda à chacune d’elles de les répéter. Bien que n’ayant pas dîné, mon ventre était si noué que je n’aurais pu аvаlег quoi que ce soit. Et pourtant j’avais faim ! Mais je ne pensais qu’à une chose : lui crier « embrasse moi ! » ! Et puis aussi le prendre dans mes bras, le porter jusqu’au canapé ! Et… Mais Je préférais attendre qu’il fasse le premier pas. Et s’il attendait la même chose de ma part ?? J’étais perdu. C’était la première fois que je ressentais une епvіе, un besoin si forts d’embrasser un garçon et de lui dire « je suis à toi ! ». Au lieu de cela, le silence s’imposa. Lourd. Soudain il me demanda : « Tu aimes les Simpson ? ». Ce dessin animé que je critiquais à longueur de temps, tellement je trouvais que les créateurs n’avaient fait que des brouillons des personnages ? « Oui bien sûr, j’adore ! Je ne rate pas un épisode ! ». Et c’est comme cela que nous avons fait connaissance ! C’est grâce à ce mensonge honteux que j’ai pu rester jusqu’à 3h du matin à bavarder avec Xavier.
« Si on sort ensemble, tu seras mon premier mec, me dit-il pendant le générique de fin de l’épisode des Simpson.
- Et moi le premier qui compte pour moi, avec qui je me sens vraiment bien.
- Vraiment ?
- Oui je… ce n’était pas de l’amour qu’ils cherchaient. Mais je l’ai compris trop tard.» Xavier hocha la tête en signe de compréhension, comme pour me dire qu’il avait vécu cela lui aussi ou qu’il voyait à quel genre de personnes j’avais eu affaire. « Tu sais ce que j’ai apprécié chez toi ? Tu ne m’as pas « sauté dessus ». Je fronçai les sourcils de surprise. « Cela m’aurait bloqué tu comprends ?
- Oui bien sûr. Je ne suis pas un violeur ! », dis-je en riant. Xavier sourit. « Et puis je n’aurais rien tenté sans être sûr que tu en aies eu епvіе… »
- Il est tard, je vais aller me coucher». Ma tentative d’approche avait eu autant de succès qu’un envol d’oiseau ayant brisé son aile… Aussi, je n’osai pas me risquer à lui demander si je pouvais rester dormir avec lui, car il venait de me faire comprendre qu’il aurait besoin de temps avant que l’on en arrive à ce stade. Je respectais cela et le partageais.
Les jours passaient. Dès que j’avais terminé mon travail, tel un homme traqué au dehors, je me réfugiais à la vitesse maximale chez moi en espérant un appel de Xavier, après avoir vérifié qu’il n’y avait aucun message sur le répondeur. Inlassablement, j’attendais de 14h à minuit, allongé tout près du téléphone, un livre dans les mains. Au début, j’étais si troublé que je devais relire plusieurs fois chaque paragraphe pour le comprendre. Au troisième jour, Je commençais à délaisser la lecture par désespoir et à penser que mon rêve s’était envolé, que sa manière de me dire de partir n’était qu’un prétexte… Et que je devais me préparer à rallumer ce fichu minitel à la recherche d’un nouveau « prince charmant » … qui n’existait probablement pas ! Du moins pas pour moi !
Ce n’est qu’une semaine exactement après son dernier appel que le téléphone se mit à sonner. Bien qu’espérant que ce soit Xavier au bout du fil, je cru tout d’abord que ce ne soit qu’un appel de ma mère… Mais lorsque j’entendis la douce voix si familière de Xavier, je relevai le buste si brusquement que j’eu peur de me démettre une vertèbre ! Cela aurait été horrible ! Pas tant à cause de la douleur, mais à cause de mon impossibilité de retourner le voir dès ce soir, comme c’était son souhait ! Je lus trois livres en un jour et demi après cette crise d’euphorisme qui a suivi cet appel inespéré ! Mon record !
Je n’avais plus peur maintenant. Je conduisis dangereusement, contrairement à mon habitude et en chantant à tue-tête sur des chansons que mon père appelait des « musiques de dingue » ! Arrivé au parking devant chez Xavier, je me recoiffai sommairement en me regardant dans le rétroviseur intérieur et dit « Tu as une tête bizarre toi, mais ça n’a plus d’importance maintenant. Il y en a un à qui tu plais comme tu es ! ».
Cette fois, Xavier m’attendait à la porte. Je minimisai ma joie de le revoir parce que lui ne montrait pas un enthousiasme m’incitant à avoir un comportement plus expressif. Mon cœur remit à battre plus fort, mais mes anxiétés du premier rendez-vous s’étaient largement amenuisées. Il me dit qu’il avait eu en cadeau un coffret des Simpson et que si je le souhaitais on pouvait le regarder ensemble. J’acceptais sa proposition, quelque peu perturbé que ce soit la première phrase qu’il me dise… Xavier me considérait-il comme un ami ? Etait-ce cela ce qu’il projetait pour nous ? Cette pensée me gela le cœur… Mais cette fois par déception. Je me trompais peut-être. J’allais bientôt le savoir. Sur un canapé, on peut être plus facilement tenté de se rapprocher de l’autre. Mais le dernier week-end, nous avions regardé l’épisode des Simpson sur ce même canapé !
J’adorais le voir rire. Sa beauté montait en puissance ! Et mon епvіе de le prendre dans mes bras également ! S’apercevant de mon intérêt pour lui plutôt que pour le dessin animé, Xavier tourna sa tête vers moi sans discrétion, me sourit et fit le premier pas : il posa sa main sur la mienne délicatement. Je sentis sa