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Qu'est-ce que visiter un musée ? - Littérature & poésie

Sujet de discussion : Qu'est-ce que visiter un musée ?
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2012 à 18:01
    Le temps n'est jamais aboli.

    Le temps laisse plus que des traces.

    Le temps laisse des souvenirs.

    Le temps laisse la capacité de se représenter ce qui fut.

    Et ce qui fut peut être encore, grâce à notre attention et à notre souci pour les humains qui auront été.

    Aussi, visiter un musée n'est pas aller à la rencontre d'un passé révolu, c'est aller à la rencontre de ce qui nous fonde, et de ce qui persiste en nous mais aussi dans cette dimension parallèle que conforme notre capacité de nous représenter le passé et de le revivifier.

    Que de rencontres, avec nous-même, et avec des humains "passés", dépassés, entassés ailleurs, anéantis, oubliés, et qui - cependant - persistent grâce à notre imaginaire.

    C'est pourquoi le passé ne "passe" pas ; le passé est une dimension toujours présente du temps, pour peu que nous y prêtions attention ; en tant qu'êtres humains, nous sommes les contemporains de tous ceux et de toutes celles qui, dans l'ordre passager du temps, nous auront "précédés".

    C'est ainsi que je me représente la visite des musées, ces conservatoires d'humanité.
  • lefablio Membre élite
    lefablio
    • 29 novembre 2012 à 18:32
    Voir le squelette d'un mamouth,
    s'imaginer homme du neanderthal pistant et chassant la bête.....
    Un musée c'est la dimension au dessus de l'homme...
    Des fragments de vie qu'il nous appartient de pérenniser....
    Comme tu dis il n'y pas de passé,
    c'est le présent, ce que nous sommes,
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2012 à 18:52
    Oui, je récuse cette représentation linéaire et facile d'un temps qui s'écoulerait, et qui balaierait, comme l'Indien la piste derrière soi, le cours qu'il a eu, si bien que nous aurions un présent réductible à l'instantané, à l'immédiat qu'une amnésie générale transformerait en un pauvre îlot, isolé, et déjà abandonné au profit d'un autre îlot, et ainsi de suite.

    Non, il y a notre imaginaire ; et je crois aussi que concevoir le temps avec une présence qui affecterait ses trois mouvements, passé, présent, futur (ad-venir) est une conception dynamique qui nous donne une épaisseur humaine, qui nous enracine, bénéfice psychologique non négligeable, mais aussi qui dote le temps d'une épaisseur irréductible.

    A partir de là, des sciences comme l'archéologie, comme la recherche historique, ou des sciences plus fondamentales dites "dures", l'astrophysique, sont justifiées : l'univers nous est présent, en tous ses temps ; nous sommes présents à l'univers, au-delà de notre maigre portion de temps ; et bien sûr que nous serons dissous, oubliés, mais de quelque manière, d'autres humains, après nous, nous réinventeront.

    Rien de plus émouvant quant à la réalité sensible que de voir dans un musée gallo-romain (c'est un souvenir d'Allemagne) la tablette de cire d'un écolier qui apprenait à tracer les caractères de l'alphabet ; et la tablette porte encore l'empreinte des essais maladroits de l'apprenti en écriture.

    Cet écolier-là nous l'avons été plus jeunes, et nous pouvons en toute clarté le concevoir, le revivifier, nous le représenter ; nous manquons - probablement - sa réalité individuelle, mais qui sait ?
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2012 à 21:09
    Lorsque Giuseppe Fiorelli, à Роmрéi en 1863, imaginait, autour des ossements de victimes de l'éruption du Vésuve en 73 de notre ère, de couler du plâtre dans les cavités qu'avaient laissées les corps avant que ne durcissent les cendres, afin de relever l'empreinte des vivants surpris par la mort, il donnait à l'archéologie, mais aussi à notre intérêt pour les musées, une métaphore : ressusciter le passé, le rendre de nouveau présent malgré la mort ; que le passé se présente encore.


    r?t=a&d=mys&s=ads&c=p&app=aoth&ti=1&ai=30751&l=dis&o=14666&sv=0a5c411e&ip=6dd44486&cu.wz=0&u=http%3A%2F%2Fwww.brunette.brucity.be%2Fatelierpedagogique%2Fdossiers%2Fpompei%2Fimages%2Fvictimes.jpg


    Visiter un musée, c'est défier la mort ; ne pas reconnaître sa vaine victoire sur nous. C'est faire du passé un temps présent en nous ; c'est ne pas accepter la linéarité du temps ; c'est gagner, par notre imaginaire, une dimension intemporelle, ou tгапs-temporelle, et nous ménager une réalité parallèle, tout aussi existante que la fluidité du temps passant.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 30 novembre 2012 à 00:52
    J'aimerais, tellement, au plus haut point que les trois moments du temps, présent, passé, futur soient présents ensemble, à égalité, intacts, avec leur myriades de faits, petits ou plus généraux, comme conservés mais vivants dans une mémoire de la totalité : ce n'est jamais que le vieux rêve de l'éternité, qui conserve tout, et garde tout présent.

    Aussi, face au temps qui passe, passagers que nous sommes, garderons-nous simplement la faсulté d'imaginer, et de ressusciter, par ce pouvoir, qui peut tenir de la reconstitution historique méticuleuse et scientifique tout aussi bien que des extravagances de notre imaginaire produisant des vraisemblances.

    Et, face à un "témoin matériel", une tablette de cire portant encore les traits d'un apprenti en écriture, imaginerons-nous sa patience, que ce n'était pas donné à toutes les classes de la société gallo-romaine d'apprendre cette technique, et nous déploierons, pour relier mille indices avérés, mille connaissances dispersées autour de cette tablette, notre imaginaire pour faire du connu et des inconnus un tissu de vérités qui se tiennent : ainsi le passé sera, encore et toujours, présent.
  • lefablio Membre élite
    lefablio
    • 30 novembre 2012 à 05:21
    J'aimerais, tellement, au plus haut point que les trois moments du temps, présent, passé, futur soient présents ensemble, à égalité, intacts, avec leur myriades de faits, petits ou plus généraux, comme conservés mais vivants dans une mémoire de la totalité : ce n'est jamais que le vieux rêve de l'éternité, qui conserve tout, et garde tout présent.

    Aussi, face au temps qui passe, passagers que nous sommes, garderons-nous simplement la faсulté d'imaginer, et de ressusciter, par ce pouvoir, qui peut tenir de la reconstitution historique méticuleuse et scientifique tout aussi bien que des extravagances de notre imaginaire produisant des vraisemblances.

    Et, face à un "témoin matériel", une tablette de cire portant encore les traits d'un apprenti en écriture, imaginerons-nous sa patience, que ce n'était pas donné à toutes les classes de la société gallo-romaine d'apprendre cette technique, et nous déploierons, pour relier mille indices avérés, mille connaissances dispersées autour de cette tablette, notre imaginaire pour faire du connu et des inconnus un tissu de vérités qui se tiennent : ainsi le passé sera, encore et toujours, présent.

    Mais Climax,, il me semble que c'est bien le cas,
    le passé fait ce que nous sommes dans le présent et le futur est une projection du présent.....
    Ils sont bien simultanés.....
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 2 décembre 2012 à 01:16
    Il existe un merveilleux livre qui est celui-ci. Cet historien, qui est un grand écrivain, en vertu du fait qu'il sait raconter, a choisi de nous livrer, après l'avoir choisi guidé par le seul hasard, la vie d'un inconnu, dont les traces affleurent à peine. Vraiment, il est émouvant de voir comment un historien, un vrai, s'attache à des détails et reconstitue et nous RESTITUE un monde.

    9782081218833FS.gif

    "Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876)", par Alain Corbin, chez Flammarion, soit en poche à huit euros et cinquante-cinq centimes, soit en grand format (où il est encore disponible) pour dix-neuf euros et quatre-vingt-six centimes.

    ---- Le passé, dans ce livre, a une présence émouvante, sensible ; il s'agit d'une reconstitution ; mais je prétends, moi, que c'est, au-delà du collationnement des faits, au-delà des probabilités de ceux-ci, au-delà des suppositions, au-delà du savoir de l'auteur sur le milieu où s'inscrit la silhouette de Louis-François Pinagot, une approche tellement inspirée par la passion qu'elle ne peut être qu'une restitution vivante, franchissant les moments du temps, les dépassant, les abolissant, pour nous présenter un passé présent. Les mots délivrent le présent du passé.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 2 décembre 2012 à 23:35
    "A história é dor, a verdadeira história é a dos gritos. [...] O Homem tem atrás de si uma infindável cadeia de mortos a impeli-lo, e todos os gritos que se soltaram no mundo desde tempos imemoriais se lhe repercutem na alma. - É essa a história: o que sofreste, o que sonhaste há milhares de anos, tateou, veio, confuпdido no mistério, explodir nesta boca amarga, neste gesto de cólera...".

    (citation de l'écrivain portugais Raul Brandão)

    "L'histoire est faite de douleur, la véritable histoire est celle des cris [...] L’Homme a derrière lui un chaîne infinie de morts qui le poussent en avant, et tous les cris que l'on a poussés depuis des temps immémoriaux se répercutent dans son âme - C'est cela l'histoire : ce que tu as enduré, ce que tu as rêvé il y a des milliers d'années a tâtonné, est venu, enveloppé de mystère, exploser dans cette Ьоuсhе d'amertume, dans ce mouvement de colère..."

    ------------------------------------------------------------------------------------------

    Un autre livre extraordinaire, de Carlo Guinzburg, d'après les procès-verbaux de l'Inquisition, sur le matérialisme vitaliste d'un meunier qui concevait tout engendrement de vie - serait-ce les anges et Dieu - comme une fermentation gigantesque du Tout qui est la Nature ; pour une telle pensée récusant toute transcendance, notre meunier, Menocchio, ne pouvait qu'être brûlé et il le fut, lui qui ne pouvait pas s'empêcher de communiquer ses idées d'être humain à d'autres humains, lui qui ne pouvait pas se résigner à être mort et muet avant même d'être mort.

    Ce livre est la reconstitution minutieuse de la pensée, c'est-à-dire aussi de la vie de Menocchio ; et une superbe démonstration du fait qu'une tradition populaire matérialiste, sous-jacente au christianisme, avait perduré jusqu'à rencontrer les affabulations et les théorisations des philosophes et des théologiens.

    ENCORE UN CAS DE RESTITUTION D'UNE HUMBLE VIE.

    9782700722550FS.gif

    Pour le prix de vingt euros et trente centimes ; ISBN (numéro identifiant international du livre) : 2-7007-2255-8. Il n'existe pas en collection de poche.

    L'édition française date de 1980.

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