Je sais bien que, Joachim Du Bellay, on vous l'a infligé comme un pensum, on vous en a parlé comme d' un monstre sacré des Lettres françaises, on vous l'a démantibulé quant au sens et aux sons
("et remarquez cette belle euphonie, et voyez combien le retour lancinant des mêmes sons lourds sont à l'unisson de l'idée exprimée de tristesse et de décadence, voyez combien les sons forment des deux quatrains et des deux tercets une unité de sens en venant renforcer le jeu des rimes, ..."),
il n'empêche que cet homme est un poète majeur, un versificateur hors pair, quelqu'un qui dans le cadre convenu du sonnet a réussi à bâtir deux "poèmes en sonnets", "Les Antiquités de Rome" et "Les Regrets".
Un homme qui, dans les loisirs que lui laissaient ses charges domestiques auprès du Cardinal Du Bellay à Rome, a su affermir son âme, qui a fait feu de tous bois, et de toutes circonstances un poème.
Trois sonnets pour vous le mettre en Ьоuсhе !!!
- Dans le genre sarcastique et satirique, un conclave pour élire un pape (intrigues et marchandages)
Il fait bon voir, Paschal, un conclave serré
Et l'une chambre à l'autre également voisine
D'antichambre servir, de salle, et de cuisine,
En un petit recoin de dix pieds en carré ;
Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là-dedans cette troupe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par dépit de l'un être l'autre adoré ;
Il fait bon voir dehors toute la ville en armes
Crier, le Pape est fait, donner de faux alarmes,
Saccager un palais ; mais plus que tout cela
Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour celui-ci, qui met pour celui-là,
Et pour moins d'un écu dix Cardinaux en vente.
- Comment tirer le portrait de ses contemporains et n'être pas la dupe dans les jeu des convenances sociales et des amabilités, ou la critique des apparences :
Marcher d'un grave pas, et d'un grave souci,
Et d'un grave souris à chacun faire fête,
Balancer tous ses mots, répondre de la tête,
Avec un Messer non ou bien un Messer si ;
Entremêler souvent un petit Et cosi,
Et d'un Son Servitor contrefaire l'honnête,
Et comme si l'on eût sa part en la conquête,
Discourir sur Florence, et sur Naples aussi ;
Seigneuriser chacun d'un Ьаіsеment de main,
Et suivant la façon du courtisan Romain,
Cacher sa pauvreté d'une brave apparence ;
Voilà de cette cour la plus grande vertu,
Dont souvent mal monté, mal sain et mal vêtu,
Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France.
- La mort d'un pape qui tourne au tragicomique, tant il faut savoir rire de ce qui enfonce un parapluie au derrière des bienséants :
Comme un qui veut curer quelque Cloaque immonde,
S'il n'a le nez armé d'une contresenteur,
Étouffé bien souvent de la grand' puanteur
Demeure enseveli dans l'ordure ргоfопԁе ;
Ainsi le bon Marcel ayant levé la bonde
Pour laisser écouler la fangeuse épaisseur
Des vices entassés dont son prédécesseur
Avait six ans devant empoisonné le monde ;
Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris,
Tomba mort au milieu de son œuvre entrepris,
N'ayant pas à demi cette ordure purgée.
Mais quiconque rendra tel ouvrage parfait,
Se pourra bien vanter d'avoir beaucoup plus fait
Que celui qui purgea les étables d'Augée.
Et volontairement je vous laisse sur cette note sсаtоlogique, parce que le versant proprement lyrique de Du Bellay est le plus connu, le plus loué. tenons-nous aux à-côtés & à ce que l'on ne met pas suffisamment en valeur chez lui : sa verve sarcastique.