Sophia de Mello Breyner Andresen au Panthéon - Littérature & poésie

Heureux pays le Portugal qui juge dignes d'honneurs dans son Panthéon national - honneurs d’État pouvant paraître ridicules, surannés, compassés, mystificateurs certes, mais qui ne sont pas sans effets sur la formation de la mythologie nationale, c'est-à-dire sur ce qui anime un peuple - une femme comme Amália Rodrigues, la voix du Fado et, depuis ce mercredi 2 Juillet 2014, la poétesse Sophia de Mello Breyner Andresen.


Une écriture solaire, lumineuse, pure, attentive aux choses, sans préciosité : une écriture pour atteindre le cœur des choses.

Sophia de Mello Breyner Andresen avait participé à "Apostrophes" de Bernard Pivot : voici cette émission.



Il est très émouvant de voir cette dame, parfaitement francophone, rendre à chacun des écrivains son dû, par une juste appréciation publique des talents de chacun ; nulle vanité ne l'animait et nul carriérisme.

C'est un signe que les écrivains portugais l'aient élu à la direction de l'Association Portugaise des Écrivains, en 1972, avant la Révolution d'Avril 1974, alors que chacun savait ses positions antifascistes, c'est-à-dire aussi son opposition à la propagande faisant de la langue portugaise un instrument déchu, vicié et mensonger.

D'elle en France, et l'on ne dira jamais assez combien pour Sophia (ainsi que l'on dit tout court au Portugal pour la nommer), les éditions de La Différence ont œuvré avec constance, en donnant de bonnes traductions en des éditions souvent bilingues, voici quelques livres (son œuvre dramatique, "O Colar", n'a malheureusement pas été traduit, c'est pourtant une pièce délicieuse sur les jeux de l'amour contrariés par les contraintes de ne pas mésallier les familles) :











Et d'autres livres...


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Si les institutions françaises

mettaient au Panthéon national

des créateurs de beautés

élevant les consciences,

elles seraient bien inspirées.


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Sophie de Mello Breyner Andresen a été mise au Panthéon portugais avec l'assentiment UNANIME de tous les groupes parlementaires de l'Assemblée de la République portugaise, de l'extrême-gauche, o Bloco de Esquerda (BE), o Partido Ecologista "Os Verdes" (PEV) en passant par o Partido comunista português (PCP), par o Partido socialista (PS) jusqu'à la droite gouvernementale, o Partido Social Democrata (PSD), et o Centro dos Democratas Sociais-Partido Popular (CDS-PP)


La beauté a vaincu.

Et l'honnêteté d'une langue solaire

irradiant êtres, choses,

événements et sentiments.

Je vous avais déjà fait un sujet concernant la poésie de Sophia de Mello Breyner Andresen, et je vous avais traduit de ses poèmes. Cela remonte à loin... Ici je vous traduit un de ses "contes exemplaires" (au sens latin de l'"exemplum", c'est-à-dire de la leçon morale illustrée par un récit).


L'ensemble est traduit entièrement par mes soins, en quatre morceaux.


Je traduis pour mon рlаіsіг !!!

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Portrait de Monique

Monique est une personne tellement hors du commun qu’elle réussit en même temps à être une bonne mère de famille, une femme très attirante, une dirigeante de la « Ligue des Femmes Inutiles », à aider son époux dans le cadre de son commerce, à faire de la gymnastique tous les matins, à être ponctuelle, à avoir quantité d’amis, à donner des soupers, à aller à de nombreux repas, à ne pas fumer, à ne pas vieillir, à apprécier tous les gens, à en profiter, à dire du bien de tous les gens, à ce que tous les gens disent du bien d’elle, à collectionner des cuillères du dix-huitième siècle, à jouer au golf, à se coucher tard, à se lever tôt, à manger des yaourts, à faire du yoga, à apprécier la peinture abstraite, à être membre de toutes le société de musique, à être toujours pimpante, à être un bel exemple des vertus cardinales, à avoir beaucoup de succès et à être très sérieuse.

J’ai connu durant ma vie de nombreuses personnes semblables à Monique. Mais elles sont seulement sa caricature. Elles oublient toujours ou le yaourt ou la peinture abstraite.

Derrière tout cela, il y a un travail acharné et sans trêves ainsi qu’une discipline rigoureuse et constante. L’on peut dire que Monique travaille du lever au coucher du soleil.
En effet, pour acquérir tout ce succès et tous les biens élevés qu’elle possède, Monique a dû renoncer à trois choses : à la poésie, à l’amour et à la sainteté.

La poésie n’est offerte à chacun qu’une seule fois et le fait de la refuser est irréversible. L’amour est rarement offert et celui qui le refuse plusieurs fois ne le rencontre plus.

Cependant la sainteté est offerte de nouveau chaque jour à chaque personne, et c’est pourquoi ceux qui refusent le sainteté sont obligés de réitérer leur refus tous les jours.
Ceci oblige Monique à observer une sévère discipline. Comme l’on dit au cirque, « tout impair peut provoquer la mort de l’artiste. »Monique ne commet jamais d’impair. Tous ses habits sont bien choisis et tous ses amis lui sont utiles. Comme un instrument de précision, elle mesure le degré d’utilité de toutes les situations et de toutes les personnes. Et comme un cheval bien éduqué, elle saute sans les effleurer les obstacles et suit sereinement tous les parcours.

C’est pourquoi tout tourne bien pour elle, et même les ennuis. Les déjeuners de Monique se déroulent toujours très bien. Chaque place est un engagement de capital. La nourriture est excellente et dans la conversation les gens tombent toujours d’accord puisque Monique n’invite jamais de personnes qui pourraient avoir des opinions inopportunes. Elle met son intelligence au service de la stupidité ou plus exactement, son intelligence est formée par la stupidité des autres. C’est une forme d’intelligence qui garantit sa maîtrise des choses. Et ainsi le royaume de Monique est solide et vaste.

Elle est l’іпtіmе de grands professeurs et de banquiers mais elle est aussi l’іпtіmе de manucures, de vепԁеuгs et de coiffeurs. Quand elle arrive chez le coiffeur ou dans un magasin, elle parle toujours à voix haute pour que tous comprennent qu’elle est arrivée. Et de se précipiter les manucures et les vепԁеuгs. L’arrivée de Monique est, partout, toujours une réussite. Quand elle se trouve sur une plage, le soleil lui-même est agacé.

L’époux de Monique est un pauvre diable que Monique a transformé en un individu très important. De ce mari ennuyeux Monique retire le rendement maximal. Elle l’aide, elle le conseille, elle le gouverne. Quand il est nommé administrateur de quelque chose de plus, C’est Monique qui est nommée. Ils ne sont pas homme et femme. Ils ne forment pas un mariage. Le contrat qui les unit est indissoluble, car un divorce ruinerait leurs situations respectives. Le monde des affaires est bien-pensant.

C’est pour cela que Monique, ayant renoncé à la sainteté, se dévoue avec un grand dynamisme aux œuvres de charité. Elle tricote des vestes pour les enfants que ses amis condamnent à souffrir de faim. Parfois, quand les vestes sont prêtes, les enfants sont déjà morts de faim. Mais la vie continue. Et la réussite de Monique aussi. Chaque année elle paraît plus jeune. La misère, l’humiliation, la ruine n’effleurent pas même la fibre de ses vêtements. Entre elle et puis les humiliés et les offensés, il n’y a rien de commun.

L’on peut dire que pour chaque édifice construit en ce temps, Monique a toujours apporté sa pierre.

Il y a plusieurs mois que je ne vois plus Monique. Dernièrement, l’on m’a raconté que, pendant une certaine fête, elle est restée longtemps en conversation avec le Prince de ce Monde. Tous deux parlaient sur le ton de l’intimité. Il n’y a bien évidemment en cela aucun mal.
Tous les gens savent que Monique est très sérieuse, tous les gens savent que le Prince de ce Monde est un homme de mœurs austères et pures.

Ce n’est pas un désir amoureux qui les unit. Ce qui les unit est une attirance dépourvue d’amour.

Et il est naturel qu’il montre en public sa reconnaissance envers Monique. Nous savons tous qu’elle est son plus ferme appui ; elle est le plus ferme appui de son pouvoir.

("Histoire de Monique", in "Les Contes exemplaires"]
Traduction Climax69007.