En Syrie, dans le désert pailleté de luisances et de feux, sur sa colonne monté depuis trente années et plus (le compte en était perdu), Syméon observait d'un œil désabusé les marchands de pistache et de hоt-dogs attгоupés.
Il était devenu une attraction, un faire-valoir pour des commerces bien humains, un prétexte. On venait là, le dimanche, en famille, pour savourer de bonnes saucisses et prendre l'air, hors des tracas et des tumultes de Damas.
Syméon avait cru, d'abord, que toucher de la tête aux couches inférieures du Ciel, dans une attitude humble et dans un arrêt du corps patient et insensible aux vents, et aux grains de sable fouettant, et aux rarissimes ondées, le mettrait au plus près du Seigneur.
Cependant les piailleries, les criailleries, les vantardises des marchands avaient fait de son temple aérien une maison de perdition. Et il montait vers lui des bouffées de cette atmosphère délétère, avec les odeurs des merguez.
Seul son œil bougeait ; seule sa main droite hissait le panier de provisions qu'une fois par jour l'on remplissait ; seules ses dents mastiquaient, en veillant à ne pas apprécier le goût des aliments, sa provепԁе ; seule sa musique intérieure s'obstinait à chanter la prière due au Seigneur ; tout en lui témoignait envers le Seigneur d'un attachement inflexible.
Syméon ne s'en irritait pas moins contre les marchands du temple, agglutinés comme des mouches à sa colonne.
Les versions de l'histoire de Syméon, telles que les chrétiens d'Orient les ont écrites, diffèrent étrangement à propos de sa fin.
Certaines l'escamotent ; d'autres prétendent qu'un jour Syméon, en sa vieillesse, tomba, raide mort, ratatiné et momifié d'une sainte crasse ; d'autres, encore, racontent qu'un grand appareil d'anges, d'archanges, de séraphins, venu recueillir son dernier souffle, enlevèrent prestement son corps, immatériel du fait d'une sainteté alchimique, et, comme une fusée interplanétaire, l'escamotèrent au Ciel.
Une version, très hétérodoxe, conservée dans un seul monastère, au scriptorium poussiéreux, semble nous livrer un soupçon de vérité.
Humain, trop humain Syméon, qui, un jour, on ne sait lequel, secoué d'une abrupte rage...
"Nom de Dieu !!!" : ce fut ses premières paroles depuis des dizaines d'années.
Le Seigneur, ce jour, on ne sait lequel, s'était levé du pied gauche et s'était foulé le petit orteil aux Assises Éthérées - ouh, que ça fait mal ! - quand il a ouï dire Syméon ; et le Seigneur se rappela un de ses commandements : "Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur."
Autant dire que, pour Syméon, le sort en était jeté.
Et, en effet, d'une nuée noirâtre et vagabonde, Syméon, entre Ciel et terre, par une foudre zigzagante mais sûre, fut grillé comme un fusible. Et il devint charbon.
Telle est dans sa vérité - transmise par un écrit unique - la fin de Syméon le stylite.
Pequiescat in Pace !!!