Le dessin posté par Asiat est de nature caricaturale : il part d'un fait d'actualité révélateur d'un problème de société ; il en force le trait par une généralisation hyperbolique. Moi, je trouve ce dessin réussi, pour le genre dans lequel il s'inscrit. Il résume et illustre très bien le débat outre-atlantique, passé dans le catalyseur des lobbys, et sоumіs à une dialectique d'opposition entre deux logiques. La logique sécuritaire pour laquelle avoir la gâchette facile relève des devoirs du bon policier, s'oppose ici à la logique communautaire pour laquelle, tout black qui se prend une balle dans le buffet a été abattu sommairement, si le tireur est un visage pâle.
Cependant, chaque affaire est singulière. La police américaine a déjà commis bien des bavures à l'encontre des noirs, et elle a parfois rencontré une complaisance certaine de l'institution judiciaire. Mais il se trouve, dans le même temps, que certains noirs sont effectivement des criminels qui ne voient aucun obstacle de principe à tгоuег le bide d'un flic, particulièrement s'il est blanc. Cela dit, toute la police américaine n'est pas raciste ; tous les noirs ne sont pas des délinquants dangereux. La couleur de peau, tout comme le port d'un uniforme, n'est pas un critère permettant les généralisations tous azimuts provoquées par ce débat. Toutes les affaires dans lesquelles un noir a été tué par un flic blanc ne sont pas émaillées par le racisme ; mais certaines en sont entachées. Qui nous dit que les policiers n'auraient pas agit de la sorte face à un blanc ? Peut-être. Peut-être pas.
Il y a aussi la question des armes. Il n'est pas rare de voir un enfant américain tuer un membre de sa famille ou un tiers, en jouant avec l'arme de ses parents, alors qu'il n'a même pas encore atteint l'âge de la toge prétexte. La presse internationale révèle nombre de ces affaires, depuis quelques années.
Nous sommes à chaque fois dans le cadre d'une opération matérielle de police, avec des agents plongés au cœur de la violence. Ils doivent prendre une décision à un instant T, en respectant un protocole, alors que des vies - la leur ou celles de victimes potentielles - sont en jeu. Dans ces conditions, la reconnaissance de la culpabilité d'un agent de police qui a tué dans l'exercice de ses fonctions répond à des règles assouplies ; il peut difficilement en être autrement, si l’État veut pouvoir conserver, autant que possible, le monopole de la violence légitime afin d'assurer la sécurité publique, et afin d'éviter que chacun n'agisse selon ses propres critères. Si le policier n'a pas respecté les protocoles, si une faute personnelle a provoqué une erreur d'appréciation, ou si les faits établissent une intention coupable, le flic devra être jugé au pénal. Mais s'il a commis une erreur d'appréciation sans pour autant commettre de faute, parce tout les signaux lui indiquaient l'éminence d'un danger mortel, il ne doit pas être jugé dans cadre de la justice répressive. En revanche, la justice devra reconnaître, non pas la culpabilité d'un policier, mais la responsabilité - sans faute nécessaire - de l'administration policière. Il faudra donc condamner l’État à indemniser la famille de la victime : dans un État de droit, ce régime de responsabilité civile doit compenser le risque que fait peser l'action de l’État sur les citoyens, lorsqu'il exerce la violence légitime. Face à la mort d'un proche, l'évaluation pécuniaire du pretium doloris peut sembler dérisoire. Mais, qu'on se le dise, l'emprisonnement d'un homme ne ramènera jamais, non plus, un défuпt à la vie. L’État peut donc être poussé à reconnaître sa responsabilité vis-à-vis des victimes, sans que les policiers ne doivent forcément endosser la culpabilité. Dans les deux cas - mais d'un point de vue plus sociologique et psychologique - il y a bien la reconnaissance d'un statut de "victime", nécessaire dans le processus de reconstruction des familles endeuillées.