Nombreux sont les livres dédiés au Japon, mais rares ceux qui d'un point de vue japonais peuvent nous donner à entendre les particularités de ses habitants quant à leur sensibilité.
Junichirô Tanizaki ne part pas à la recherche, toujours improbable, d'une âme japonaise ; il n'expose pas les grands systèmes religieux et philosophiques ; il ne s'attache pas à l'histoire qui aura conformé le présent du Japon. Non, il s'intéresse à ce qui pourrait paraître un détail : le rôle de l'ombre au Japon dans le sentiment du beau.
Combien l'ombre crée une atmosphère japonaise, et met en évidence l'esprit du Japon, nous est révélé à partir de considérations sur l'architecture, sur la cuisine, sur les objets, sur le papier par exemple.
Le Takonoma (cette niche d'ombre qui comporte une calligraphie ou un tableau) crée comme un réduit de tranquillité où, dans l'incertitude d'une lumière presque absente, le plus commun tableau peut revêtir une beauté que le plein jour lui ôterait : ce n'est pas dissimulation mais mise en valeur. Et ainsi le centre d'une pièce japonaise n'est pas ce qui reluit mais ce qui est à peine effleuré par une lumière évanescente.
De même, les laques et les dorures tapageuses sous un éclairage à l'ampoule (à la mode européenne) ressortent juste ce qu'il faut, et prennent un volume noble et de la subtilité sous le jour filtré par les parois coulissantes en papier, et sous la vague lumière d'un foyer à peine incandescent. Si bien que nous pouvons réellement apprécier un objet japonais, et ne pas le taxer de vulgaire, seulement en le plaçant dans les conditions d'un éclairage tremblé, voilé et discret.
Le papier japonais d'une blancheur amortie par son moelleux et ses aspérités qui absorbent en leur épaisseur les traits du pinceau, donne aux caractères une majesté comme fondue dans la trame, une présence étrange et une élégance flottante ; un caractère japonais sur le papier lisse de l'Occident paraîtra une incongruité froide et sans grâce. Et Tanizaki de se demander ce qui serait advenu si le progrès des forces de production avait opéré une révolution du mode de production (le passage du féodalisme au capitalisme) en Orient plus tôt qu'en Europe. Les caractères n'auraient-ils pas été la manière d'écrire adoptée à l'échelle planétaire ? D'où une conception de la beauté qui aurait été bien différente sur la planète Terre.
L'on aura compris que cette méditation, point du tout pesante, originale, élaborée, écrite habilement, nous donne à ressentir et à nous représenter : c'est une invitation à la sensibilité.
La traduction par René Sieffert est, comme d'habitude chez ce traducteur de haut vol, auquel l'on doit la version française de nombreux classiques japonais, une langue française admirable par son élégance.
"Éloge de l'ombre" (daté de l'année 1933) a été republié aux éditions Verdier en 2011, après une première publication aux Presses Orientalistes de France (les POF).
Cet ouvrage d'esthétique de la vie quotidienne japonaise est tenu, par beaucoup, pour le chef-d’œuvre de Junichirô Tanizaki.
Seize euros ; l'ISBN (le numéro standard international du livre) est 9782864326526.
Ce livre est vraiment d'une lecture facile et plaisante ; je ne peux que vous y engager !!!