Dans le cas d’une première arrestation pour hоmоsехualité, au début du dix-huitième siècle, les délinquants ne passent guère plus de quelques heures, voire quelques jours, en prison. L’affaire se solde en général par une remontrance, une « mercuriale ». La récidive rallonge parfois le séjour derrière les barreaux, mais on ne craint guère plus.
Alors pourquoi eux, ont-ils fini au bûcher ? la raison exacte n'est encore pas très claire dans cette histoire
L'explication est donné plus bas :
Outre l'acte, les deux hommes, de simple condition, ont eu le tort de ne pas être bien nés. "Ils étaient particulièrement fragiles sur le рlап social, c'était plus facile de les condamner", estime M. Pastorello. "Les jeunes nobles surpris dans des parties fines dans les bosquets de Versailles étaient renvoyés dans leurs châteaux de campagne pour se faire oublier", ajoute-t-il.
Le commentateur, historien contemporain, a opéré une simplification réductrice du fonds de l'affaire. Voici, ce que je retire des pièces d'archive reproduites (je sais, on dirait que je n'ai que ça à foutre) :
Deux hommes, au milieu du XVIIIe siècle ont été pris en flangrant délit de рlап сul, sur la place publique. Certes, ils ont souffert de l'absence d'une famille de notables opérant en sous-main pour éviter l'infâmie d'un procès. Mais ce n'est pas tout.
Qui s'intéresse aux documents historiques verra que la sоԁоmіе - acte pourtant incriminé en droit pénal - bénéficiait d'une tolérance manifeste. Cette affaire illustre un contre-exemple dans le panorama judiciaire de l'époque. Les autorités avaient tendance à fermer les yeux pudiquement sur l'hоmоsехualité, ou à procéder par voie d'internement extra-judiciaire. En effet, les autorités policières usaient souvent des lettres de cachet pour éviter aux hоmоsехuеls la sévérité d'un procès, et l'application de peines déjà considérées comme barbares, pour un "crime" aussi répandu dans cette société au sеіп de laquelle l'influence de la religion décline de façon significative. Il était préférable d'être enfermé temporairement - par la police royale - dans un hôpital comme Bicêtre, qu'être condamné par une cour aux flammes du bûcher. Contrairement à ce que l'on écrit, les lettres de cachet sont rarement le symbole d'arbitraire, tant décrié : dans bien des cas, elles ont été utilisées pour éviter aux justiciables la sévérité de la justice déléguée par le roi aux juridictions ordinaires.
Cette forme d'internement est bel et bien un moyen de répression utilisant tantôt la prison, tantôt le système de renfermement hospitalier pour punir l'hоmоsехualité, mais il illustre une évolution des institutions royales : elle prend en compte l'évolution des mœurs, durant le siècle dit des "Lumières".
Dès lors, pourquoi ces deux bougres ont-ils péri, alors que la sévérité du droit pénal en pareil cas n'était plus de mise que dans les affaires où l'hоmоsехualité se conjugait avec d'autres crimes, comme la рéԁорhіlіе, le viol, ou le meurtre ?
Les pièces d'archives sont éloquentes, pour qui veut bien prendre le temps de lire entre les lignes. Cette affaire illustre la lutte entre, d'une part, une monarchie administrative en modernisation constante, et d'autre part des autorités judiciaires quasi-indépendantes, défendant des intérêts corporatistes réactionnaires.
Les
Mémoires célèbres d'un contemporain des faits. Juriste, c'est un fin observateur de la société et de la place incidente du droit. Son témoignage extérieur révèle que l'on aurait trouvé préférable de commuer la peine. Mais une querelle a éclaté entre deux personnages au sеіп du système judiciaire. Que faut-il comprendre ?
D'un côté, nous avons le lieutenant criminel, sous-entendu de robe-courte. Ce juriste est titulaire d'une office de judicature. La propriété de son titre, et la réception de ce magistrat en Parlement font de lui une personnalité peu dépendante de la royauté, et très sensible aux intérêts de la magistrature ancienne, alors engagée dans une lutte contre les progrès du pouvoir royal, des progrès à empiètement successifs.
De l'autre côté, nous avons sans doute un commissaire-enquêteur-examinateur, chargé de faire le rapport de l'affaire devant la juridication du Châtelet. Il est lui aussi officier, mais placé sous les ordres du Lieutenant général de police, véritable homme du roi, car révocable
ad nutum par celui-ci.
Les officiers-magistrats indépendants ont alors pris le prétexte de cette affaire pour chercher chicane aux autorités royales qui oeuvraient pour éviter l'application d'un droit séculaire défendu par les ordres privilégiés que sont la noblesse (ici, la noblesse de robe : beaucoup de charges de judicature sont anoblissantes) et une petite partie clergé réactionnaire, pour qui la sоԁоmіе demeure un pêché mortel. Le bûcher doit dès-lors préfigurer les flammes de l'enfer ; libérer la cité terreste des obstacles l'empêchant de tendre vers la cité de Dieu ; et faire un pied de nez à l'autorité du roi (il est toujours décrié après le règlement de la guerre de succession d'Autriche et les parlements se préparent à durcir le ton contre la royauté). Dans ces conditions, les deux hоmоsехuеls brûlés après avoir été étranglés sont les victimes colatérales d'une lutte d'autorité durant ce siècle mouvant, en plein mutation.