Quand David Rousset fait le bilan du nazisme, il expose :
- l'analyse communiste, traditionnelle, depuis "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme" de Vladimir Illitch Lénine, du caractère belliciste, carnassier, "réactionnaire sur toute la ligne", concurrentiel jusqu'à la guerre totale - la guerre continuant la politique avec d'autres moyens - de l'impérialisme, concentration du capital financier absorbant le capital industriel et se constituant en des trusts luttant sauvagement pour la ԁоmіпаtіоп (les appareils étatiques étant des instruments, ceux-ci s'émanciperaient-ils de la tutelle directe du capital comme dans le cas du nazisme, la logique impérialiste demeure !) ;
- le fait que l'Allemagne, par le nazisme, a concentré, jusqu'à l'extrême, des traits communs à la société mondiale, mais moindrement développés ailleurs, d'où le souci antifasciste et internationaliste de sa conclusion ;
- le fait que les camps de concentration, dans leur horrible réalité, auront mis à пu les rapports matériels - les rapports sociaux de production - régissant les rapports humains au stade de l'économie l’impérialiste ;
- le fait que le nazisme, par la terreur totale (dont David Rousset souligne que la France occupée n'aura pas connu l'équivalent) a vidé la société allemande, l'a rendu atone : et, en effet, il faudra attendre Mai 1953 - soit huit années - pour qu'en République Démocratique Allemande (la zone d'occupation soviétique), les ouvriers face à un relèvement des normes de travail, donc face à une diminution de leur salaire, en viennent à une grève s'étendant à Berlin-Est, d'entreprises en entreprises, grève massive, politique, réclamant des élections au suffrage universel à bulletins secrets ; cette grève ne connaitra une défaite que par l'écrasement dû aux chars de la bureaucratie soviétique, volant au secours des bonzes staliniens de la RDA.
- une rationalité des faits historiques qui ne nie, en aucune manière, et c'est aussi une grande qualité de David Rousset, la singularité du phénomène concentrationnaire nazi, et encore moins la singularité du génocide :
Citons, à propos de l'affrontement direct de la réalité exterminatrice des camps par David Rousset, son texte page 108 :
Le S. S. ne conçoit pas son ennemi comme un homme normal. L'ennemi, dans la philosophie S. S. est la puissance du Mal intellectuellement et physiquement exprimée.
Le communiste, le socialiste, le libéral allemand, les révolutionnaires, les résistants étrangers, sont les figurations actives du Mal.
Mais l'existence objective de certains peuples, de certains races (David Rousset adopte ici, pour les besoins de son exposé, des catégories nazies de sa classification du monde humain, sans y adhérer aucunement !) - les Juifs, les Polonais, les Russes - est l'expression statique du Mal.
Il n'est pas nécessaire à un Juif, à un Polonais, à un Russe, d'agir contre le national-socialisme : ils sont de naissance, par prédestination, des hérétiques non assimilables voués au feu apocalyptique.
La mort n'a donc pas un sens complet. L'expiation seule peut être satisfaisante, apaisante pour les Seigneurs. Les camps de concentration sont l'étonnante et complexe machine de l'expiation.
Ceux qui doivent mourir vont à la mort avec une lenteur calculée pour que leur déchéance physique et morale, réalisée par degrés, les rende enfin conscients qu'ils sont des maudits, des expressions du Mal et non des hommes.
Et le prêtre justicier éprouve une sorte de рlаіsіг secret, de volupté іпtіmе, à ruiner les corps.
Cette philosophie seule explique le génial agencement des tortures, leur raffinement complexe les prolongeant dans la durée, leur industrialisation, et toutes les composantes des camps.
(Soulignons, pour la dernière phrase, que David Rousset, rescapé des camps de concentration, terminant d'écrire ce texte en Août 1945, n'admire pas le "génie" nazi ! Il s'agit là d'une sidération devant l'ingéniosité des moyens de la mise à mort et de l'extermination).