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"L'univers concentrationnaire" de David Rousset (page 2) - Littérature & poésie

Sujet de discussion : "L'univers concentrationnaire" de David Rousset
  • greenary2 Membre élite
    greenary2
    • 16 février 2015 à 20:05
    Good night Climax!
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 16 février 2015 à 22:06
    Le plus intéressant, après que David Rousset ait brossé un tableau des camps, est son analyse de la bureaucratie interne de ceux-ci, des rapports de pouvoir entre détenus de droit commun et détenus politiques - la fraction communiste des Allemands internés depuis 1933 -, puis l'analyse matérialiste de la mentalité S.S., pour aboutir à cette conclusion, écrite - je le rappelle - en Août 1945.

    Pour la lisibilité, je ménage des paragraphes où D. Rousset n'en fait pas.

    "Il est encore trop tôt pour dresser la bilan positif de l'ехрéгіепсе concentrationnaire, mais, dès maintenant, il s'avère riche.

    Prise de conscience dynamique de la puissance et de la beauté du fait de vivre, en soi, brutal, dépouillé de toutes les superstructures, de vivre même au travers des pires effondrements ou des plus graves reculs.

    Une fraîcheur sепsuеllе de la joie construite sur la science la plus complète des décombres et, en conséquence, un durcissement dans l'action, une opiniâtreté dans les décisions, en bref, une santé plus large et intensément créatrice.

    Pour quelques-uns, confirmation ; pour le plus grand nombre, découverte, et saisissante : les ressorts de l'idéalisme démontés ; la mystification crevée fait apparaître dans le dénuement de l'univers concentrationnaire la dépendance de la condition d'homme d'échafaudages économiques et sociaux, les rapports matériels vrais qui fondent le comportement.

    Dans son expression ultérieure, cette connaissance tend à devenir action précise sachant où porter les coups, que détruire et comment fabriquer.

    (...)

    Il serait facile de montrer que les traits les plus caractéristiques et de la mentalité S. S. et de soubassements sociaux se retrouvent dans bien d'autres secteurs de la société mondiale. Toutefois, moins accusés et, certes, sans commune mesure avec les développements connus dans le Grand Reich. Mais ce n'est qu'une question de circonstances.

    Ce serait une duperie, et criminelle, que de prétendre qu'il est impossible aux autres peuples de faire une ехрéгіепсе analogue pour des raisons d'opposition, de nature.

    L'Allemagne a interprété avec l'originalité propre à son histoire la crise qui l'a conduite à l'univers concentrationnaire. Mais l'existence et le mécanisme de cette crise tiennent aux fondements économiques et sociaux du capitalisme et de l'impérialisme.

    Sous une figure nouvelle, des effets analogues peuvent demain encore apparaître. Il s'agit, en conséquence, d'une bataille très précise à mener.

    Le bilan concentrationnaire est à cet égard un merveilleux arsenal de guerre. Les antifascistes allemands internés depuis dix ans doivent être de précieux compagnons de lutte." (Août 1945)

    David Rousset


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    Son autre bilan est de constater que les Allemands ont été littéralement liquéfiés, abrutis, et toutes les classes sociales anéanties sous la terreur nazie, et qu'il n'y eut que le VIDE après la destruction opérée par les nazis. "Même lorsque tout le système fut jeté à terre par les Alliés, il n'y eut rien. Seulement une sorte de vide. Un silence total. L'officier américain n'eut pas à froncer le sourcil devant une velléité de manifestation. Il n'y eut pas de velléité"

    Rappelons que la fin de la guerre se passa tout différemment en Grèce, par exemple, et qu'il fallut que les monarchistes, aidés du pilonnage britannique, affrontent les communistes grecs, lâchés par le maréchal Staline en raison du partage du monde à Yalta et à Potsdam en zones d'influence, pour revenir à l'ordre institutionnel traditionnel, c'est-à-dire à la garantie de la propriété privée des moyens de production. En France, les milices rendirent les armes à l'instigation du P.C.F., et s'établit "la bataille de la production" où "la grève est l'arme des trusts", comme l'écrivait "L'Humanité", organe du Parti communiste français.


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    Par ailleurs, David Rousset ne néglige pas les effets de l'univers concentrationnaire sur les détenus :

    "Peu de concentrationnaires [par rapport au nombre de personnes internées, outre ceux et celles qui furent immédiatement massacrés] sont revenus, et moins encore sains.

    Combien sont des cadavres vivants qui ne peuvent plus que le repos et le sommeil !" (p.182)
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 16 février 2015 à 23:42
    Il me paraît important de signaler la cohérence idéologique de David Rousset, qui ne voit pas dans le nazisme un phénomène diabolique, mystérieux, et relevant d'explications de type moral ; vous avez là le tout d'un homme, qui n'aura pas désarmé.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 17 février 2015 à 16:40
    Quand David Rousset fait le bilan du nazisme, il expose :

    - l'analyse communiste, traditionnelle, depuis "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme" de Vladimir Illitch Lénine, du caractère belliciste, carnassier, "réactionnaire sur toute la ligne", concurrentiel jusqu'à la guerre totale - la guerre continuant la politique avec d'autres moyens - de l'impérialisme, concentration du capital financier absorbant le capital industriel et se constituant en des trusts luttant sauvagement pour la ԁоmіпаtіоп (les appareils étatiques étant des instruments, ceux-ci s'émanciperaient-ils de la tutelle directe du capital comme dans le cas du nazisme, la logique impérialiste demeure !) ;

    - le fait que l'Allemagne, par le nazisme, a concentré, jusqu'à l'extrême, des traits communs à la société mondiale, mais moindrement développés ailleurs, d'où le souci antifasciste et internationaliste de sa conclusion ;

    - le fait que les camps de concentration, dans leur horrible réalité, auront mis à пu les rapports matériels - les rapports sociaux de production - régissant les rapports humains au stade de l'économie l’impérialiste ;

    - le fait que le nazisme, par la terreur totale (dont David Rousset souligne que la France occupée n'aura pas connu l'équivalent) a vidé la société allemande, l'a rendu atone : et, en effet, il faudra attendre Mai 1953 - soit huit années - pour qu'en République Démocratique Allemande (la zone d'occupation soviétique), les ouvriers face à un relèvement des normes de travail, donc face à une diminution de leur salaire, en viennent à une grève s'étendant à Berlin-Est, d'entreprises en entreprises, grève massive, politique, réclamant des élections au suffrage universel à bulletins secrets ; cette grève ne connaitra une défaite que par l'écrasement dû aux chars de la bureaucratie soviétique, volant au secours des bonzes staliniens de la RDA.


    - une rationalité des faits historiques qui ne nie, en aucune manière, et c'est aussi une grande qualité de David Rousset, la singularité du phénomène concentrationnaire nazi, et encore moins la singularité du génocide :

    Citons, à propos de l'affrontement direct de la réalité exterminatrice des camps par David Rousset, son texte page 108 :

    Le S. S. ne conçoit pas son ennemi comme un homme normal. L'ennemi, dans la philosophie S. S. est la puissance du Mal intellectuellement et physiquement exprimée.

    Le communiste, le socialiste, le libéral allemand, les révolutionnaires, les résistants étrangers, sont les figurations actives du Mal.

    Mais l'existence objective de certains peuples, de certains races (David Rousset adopte ici, pour les besoins de son exposé, des catégories nazies de sa classification du monde humain, sans y adhérer aucunement !) - les Juifs, les Polonais, les Russes - est l'expression statique du Mal.

    Il n'est pas nécessaire à un Juif, à un Polonais, à un Russe, d'agir contre le national-socialisme : ils sont de naissance, par prédestination, des hérétiques non assimilables voués au feu apocalyptique.

    La mort n'a donc pas un sens complet. L'expiation seule peut être satisfaisante, apaisante pour les Seigneurs. Les camps de concentration sont l'étonnante et complexe machine de l'expiation.

    Ceux qui doivent mourir vont à la mort avec une lenteur calculée pour que leur déchéance physique et morale, réalisée par degrés, les rende enfin conscients qu'ils sont des maudits, des expressions du Mal et non des hommes.

    Et le prêtre justicier éprouve une sorte de рlаіsіг secret, de volupté іпtіmе, à ruiner les corps.

    Cette philosophie seule explique le génial agencement des tortures, leur raffinement complexe les prolongeant dans la durée, leur industrialisation, et toutes les composantes des camps.

    (Soulignons, pour la dernière phrase, que David Rousset, rescapé des camps de concentration, terminant d'écrire ce texte en Août 1945, n'admire pas le "génie" nazi ! Il s'agit là d'une sidération devant l'ingéniosité des moyens de la mise à mort et de l'extermination).
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 17 février 2015 à 17:19
    L'ouvrage de David Rousset a obtenu le prix Renaudot en 1946.

    Mes références renvoient à l'édition faite par les éditions Famot, à Genève, en 1976.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 17 février 2015 à 17:23
    Good night Climax!

    Oui, j'étais fatigué et je soulignais, après tout, que les congés scolaires des enseignants ne sont pas vides, ni un scandale, la preuve : on a le souci de réfléchir ; et c'est ainsi que les élèves n'ont pas des professeurs ignares.

    De n'être pas ignares fait partie de notre boulot d'enseignant !
  • greenary2 Membre élite
    greenary2
    • 17 février 2015 à 17:40
    Good night Climax!

    Oui, j'étais fatigué et je soulignais, après tout, que les congés scolaires des enseignants ne sont pas vides, ni un scandale, la preuve : on a le souci de réfléchir ; et c'est ainsi que les élèves n'ont pas des professeurs ignares.

    De n'être pas ignares fait partie de notre boulot d'enseignant !


    C'est vrai mais je crains que dans le cadre d'un partage sur le forum, ce genre de sujet très développé, et qui exige tout de même une culture substantielle, n'attire pas trop d'amateurs, hormis quelques uns, pour argumenter voir apporter la contradiction s'il y en a une.
    De plus c'est très délicat et les forumers craignent peut être d'être blessants par maladresse en disant des inexactitudes ou des choses pas très maîtrisées. Moi même je me suis senti un peu malhabile:)
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 17 février 2015 à 19:12
    Greenary2, tu as raison. Ce sujet ne peut être que long par ses développements.

    Je crois que tu n'a pas tort : des délicatesses, la crainte d'être maladroit retiennent.

    Pour ma part, il m'a bien fallu deux jours pour cerner la matière.

    Et j'ai suppléé, quelque peu, à l'absence de débat, en donnant le maximum de détails sur les positions de David Rousset : dois-je dire que ses positions matérialistes dialectiques (pour qualifier de deux adjectifs sa philosophie politique) m'ont donné à voir une finesse d'approche politique qui n'exclut pas mais encourage la sensibilité, et ceci pour une appréciation très positive de ma part !

    Oui, ce type de sujet n'attire pas les foules. Mais qu'importe.

    Le sujet est !

    Et il importe qu'il figure parmi tous les autres sujets.
  • greenary2 Membre élite
    greenary2
    • 17 février 2015 à 19:24
    Oui bien sûr Climax que ce sujet a sa place içi!
    Et c'est même mieux que ce soit quelqu'un d'objectif, lucide et cultivé comme toi qui soumette ce délicat topic maintenant avant qu'un autre s'en empare et le démolisse par inexactitude, manque de savoir, amalgames, etc,...provoquant par la sorte un feedback incongru et contribuant à nourrir une mauvaise atmosphère.

  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 17 février 2015 à 20:23
    Je suis déterminé, en effet, envers tous mes parti-pris, affichés et connus, à ne pas faire de ce sujet - un amas d'inexactitudes, d'approximations, de mots légèrement pesés ; - un sujet de polémique, pour s'étriper (en vertu de quel bien et en vue de quoi, d'ailleurs ?) : pour épancher les uns sur les autres des vue courtes et tranchantes, qui blessent ?

    Déjà nous avons discuté de la portée du langage, de sa capacité - et dans quelles limites - à traduire une ехрéгіепсе extrême.

    David Rousset expose une rationalité historique des camps, sans verser dans un réductionnisme mécaniquement déterministe, d'où sa distinction des deux catégories d'ennemis pour la logique des nazis.

    Cela est digne de réflexions.

    Et, merci Greenary2 !!!

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