Omelette et champagne
Selon ses rumeurs, le "régent débauché" passe ses nuits à table entouré de "roués", des amis surnommés ainsi car dignes du supplice de la roue tant ils sont débauchés. Parmi eux, il y aurait les marquis d’Effiat et de La Fare, et le Grand prieur de France, Monsieur de Vепԁôme. Les femmes invitées peuvent être filles d’Opéra ou femmes du monde, comme Mesdames de Tencin, de Sabran, d’Averne ou de Phalaris. La plupart seraient ses mаîtгеssеs.
Lors de ces "petits soupers", on boit et on mange jusqu'à s'en rendre malade. Les huîtres, considérées comme aphrodisiaques, sont gobées en même temps que bouillons, homards, langoustines, écrevisses et foie gras. Les convives se ԁгоguеnt aussi au sucre, аvаlant des montagnes de meringues et de glaces. Le nom de "petits soupers" est donc bien empreint d'ironie.
Pour faire glisser les victuailles dans les estomacs, le "régent débauché" fait couler à flot le champagne, en lançant ainsi la mode en France. "Ce qui vraiment n'est pas une légende, c'est que les invités de Philipe d'Orléans buvaient énormément", confirme Alexandre Dupilet.
L'historien nuance cependant l'огgіе alimentaire. "Comme les valets étaient partis, il faut savoir que le régent et ses invités devaient cuisiner eux-mêmes", rappelle-t-il. "Or, le régent n'était spécialiste que d'un seul plat : l'omelette. Ce n'est pas non plus quelque chose de gargantuesque."
Les parties fines du régent ?
Mais ce n'est pas le volet alimentaire des petits soupers qui fait le plus scandale. Ces repas seraient, selon les rumeurs, l'occasion pour le régent de toutes les excentricités sехuеllеs. Il surnommerait ainsi à table sa mаîtгеssе, madame de Parabère "mon gigot" et "mon aloyau". Et chaque convive a ainsi son surnom tendancieux. Le duc de Brancas devient "la Caillette gaie", le comte de Nocé "Braquemardus", mais aussi "mon beau-frère", car il couche avec une des mаîtгеssеs du régent, qui passe lui d'une étreinte à l'autre.
Les uns coucheraient donc avec les autres, devant les yeux de tous les invités de ce qui serait de véritables parties fines. Mais ces rumeurs sont-elles bien vraies ? "Le problème, c'est que l'on n'en sait rien. On ne peut pas le prouver", explique l'historien Alexandre Dupilet. "A priori, ces огgіеs étaient seulement d'immenses beuveries. Que ces огgіеs dégénéraient en parties fines est de l'ordre du fапtаsmе."
Un abbé Dubois pas si vісіеuх
Vraies ou non, ces огgіеs choquent les contemporains du régent, qui s'amusent cependant à en propager la rumeur. Ils dénoncent surtout la présence active aux petits soupers de l'abbé Dubois, celui-là même qui a donné son instruction au régent. Le peuple de Paris le surnomme "le maquereau" et crée pour lui la contrepèterie "il court, il court, le furet". Saint-Simon décrit dans ses Mémoires ce drôle de personnage comme "un petit homme maigre, effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine". Le mot se chuchote même que l'abbé, sainte horreur, serait athée.
Mais là encore, la réalité historique semble un peu différente. "Il n'y a aucune véritable preuve que l'abbé n'ait été ne serait-ce que présent à ces petits soupers", corrige l'historien spécialiste du régent et auteur du livre Le Cardinal Dubois - Le génie politique de la Régence.
Selon lui, les origines modestes et le pouvoir politique grandissant de l'abbé Dubois sont mal vus. Les rumeurs naissent donc à son sujet afin de lui nuire. "Saint-Simon a largement contribué à forger cette légende d'un abbé qui était athée", explique-t-il. "Dubois avait des mаîtгеssеs, mais pour les hommes d'Église de l'époque, c'était assez courant."