Il y a le fait que je suis enseignant, dans un lycée comptant 1 800 élèves, et que je n'ai pas l'âme d'un porte-drapeau, d'un emblème.
Par ailleurs, les difficultés de la vie m'ont assigné à d'autres catégories minoritaires ; de plus, syndicalement et politiquement, je suis minoritaire. Bref, la barque est bien chargée ; ne la faisons pas couler !!! Il s'agit donc là d'une transaction avec mes propres limites, que de ne pas dire à tous mes collègues (je l'ai dit à ma collègue la plus proche, qui n'en a point été choquée, et l'a pris avec une acceptation immédiate, qui n'était pas feinte ; mais c'est une personne rare, comme on aimerait qu'il y en ait beaucoup !)
En ce qui me concerne, lorsque j'ai vu, dans l'espace public, deux garçons se tenir la main, en plein centre de Lyon, j'ai admiré, j'ai trouvé ça mignon, mais au fond de moi veillait le préjugé d'une nature équivalente au racisme, tellement -je crois- nous disposons peu de modèles sociaux,qui nous permettent de trouver cela ordinaire, nous "qui en sommes".
Et puis, il y a une autre question : la sехualité doit-elle s'afficher. J'avoue que deux amoureux, garçon et fille, qui s'embrassent à Ьоuсhе que veux-tu, devant moi, comme si j'étais absent, me mette dans le plus grand malaise ; la discrétion pour moi est de mise, quelle que soit l'orientation sехuеllе ; et pour les "gays" et lesbiennes, y a-t-il, sous prétexte de libération, à forcer la note, à se donner en spectacle, pour prendre d'assaut des libertés ?
Dois-je dire que, lorsque je rencontre mon ancien compagnon, je lui fais la bise en public ; et que je le veille des yeux, avec un regard qui n'a rien de "neutre" ?
Donc, j'ai moi-même expérimenté la grande indifférence du public.
Mais, dans un lycée, où les élèves cherchent des modèles d'identification, pour se structurer, je peux vous assurer qu'il ne fait pas bon être ouvertement ce que l'on est, parce que l'on est susceptible de recevoir toutes les condamnations, les ironies, toutes leurs "projections" négatives et hostiles ; on est susceptible d'être travaillé au corps par des élèves qui auront trouvé LA faille ; et il se trouve que j'occupe aussi une position d'autorité particulière, comme tout professeur d'ailleurs.
Pour autant, je ne suis pas couard ; et toute blague homophobe, ou propos du même tonneau, trouvera chez moi une butée, un obstacle, une riposte. Et par là, j'assumerai ce que je suis.