C'était la chronique d'un naufrage annoncé. Comme cela a été souligné plus haut, ce score ne doit pas faire croire que le cœur de la France bat pour l'extrême droite. La taux d'abstention est énorme et beaucoup de Français ont voté FN sans pour autant adhérer aux thèses absurdes de ce parti, dont la profession de foi européenne - si elle elle n'était pas à ce point iпіԛuе - aurait de quoi faire tordre de rire n'importe quel électeur sensé. Le FN a mis la main sur un euroscepticisme, le plus souvent béat et irréfléchi. En période de crise sociale et économique, on recherche un bouc-émissaire, un responsable à tout prix.
La faute à qui ? Les torts sont partagés.
Le traité de Lisbonne est trop dogmatique, et mal conçu. Le traité et ses avatars offrent des avancées importantes et primordiales, mais figent l'Europe dans un modèle - notamment économique - ргоfопԁément enraciné, avec un parti-pris libéral institutionnellement verrouillé, et protégé comme un bastion imprenable, alors qu'il n'est pas toujours tenable, et qu'il est perçu comme injuste par beaucoup d'électeurs désabusés. De même, le traité est incomplet, il entend créer une démocratie européenne, en négligeant la notion de peuple européen dans un contexte de réunion bancale d’États souverains. Ce n'est pas que la position des souverainistes français, mais la position officielle des institutions allemandes, pourtant motrices de l'Europe. On refuse de le voir et de l'expliquer, mais le Bundesverfassungsgericht (la Cour constitutionnelle allemande), dans un arrêt de 2009, explique que l'UE est une simple organisation internationale, et en rien en État s'appuyant sur un peuple unitaire et souverain. Dès lors, l'UE entend créer une démocratie européenne sans s'appuyer sur un demos européen, aux pouvoirs pleins et entiers. Ce comble est source de complications et fait passer les décisions européennes pour illégitimes, lorsqu'on sait que plus de 80% des lois votées par le Parlement français sont des lois de ratification de textes européens. Ainsi, on perçoit l'UE comme une pieuvre omnipotente, oppressive, et très éloignée des préoccupations de tout un chacun.
Les partis politiques sont souvent décevants. Les électeurs se sentent oubliés et mal représentés. La politique sociale insuffisante des socialistes a privé le PS d'une part de son électorat classique, qui ne se reconnaît nul part ailleurs, et qui ne veut pas voter. Les affaires opaques et les scandales des partis ont fait perdre aux électeurs la confiance en tout système électoral national comme européen. Ces résultats sont autant la sanction de la politique en général, que de l'Europe en particulier.
Enfin, les électeurs ne doivent pas être exonérés de toute responsabilité. Les électeurs refusent de voter. Ils laissent donc les autres décider pour eux, et ont encore moins епvіе de voter, parce qu'en bonne logique les représentants qu'ils ont refusé d'élire prennent des décisions dans lesquelles ils ne se reconnaissent jamais. C'est un cercle vісіеuх implacable que les électeurs eux-mêmes ont contribué à créer par leur abstention chronique. Ils en sont pleinement responsables : à l'heure actuelle, ne pas voter c'est favoriser les extrêmes. Je suis atterré par cette attitude, et je demeure assez sévère par rapport à ce corps électoral qui se réfugie derrière ses désillusions pour laisser les autres décider sans lui et pour lui.