Je crois que Vinsang n'a pas tort de caricaturer un peu, et qu'Asiat a raison de prendre un peu de recul, par rapport à LVMH. Oui, les relations entre le monde de l'économie privée et les finances publiques sont tantôt entachées d'une abjection іпсеstuеusе. Oui, les grands argentiers qui ont poussé l’État à l'endettement - trop heureux de placer leur fric à moindre risque - sont les premiers intéressés dans ces affaires. Oui, les affairistes qui ont financé les partis politiques et leurs campagnes ont obtenu des renvois d'ascenseur absolument scandaleux.
Il faut toutefois mettre les choses en perspective. N'oublions pas que, voilà quelques mois, nous avons manqué de si peu la disparition de ministère de la Culture, que mes contacts y tenaient pour acquis leur rattachement à l’Éducation. Je ne rentrerai pas dans le détail, dans la mesure où j'estime que les secrets d'alcôves doivent demeurer dans leurs alcôves, mais il s'en est fallu vraiment de très peu. On peut le regretter avec amertume, le déplorer avec la larme à l’œil, l'accepter avec résignation, le saluer sans conviction, ou l'applaudir avec ferveur : la définition de l’État et son rôle dans la société ont beaucoup changé depuis les années 80. Sans le régime du mécénat d'entreprise (et du mécénat des particuliers, d'ailleurs) ; sans nos industries françaises du luxe et nos compagnies artistiques financées par des fonds publics/privés (elles sont toutes héritières, il faut le dire, de la lointaine politique colbertiste, une politique d’État, s'il en est) ; sans les fondations d'entreprises, aussi, la France aurait perdu son rang culturel dans le monde, et perdu - pour parler trivialement d'espèces sonnantes et trébuchantes - beaucoup plus qu'elle n'a dépensé pour mener sa politique culturelle. Ce n'est pas la panacée, mais l'expédient a le mérite d'être opportun, si ce n'est opportuniste.
Quant à la Fondation Louis Vuitton, l'emphitéose administrative n'emporte pas aliénation du fonds (il demeure dans le domaine public de la ville de Paris), et les bâtiments nouvellement édifiés seront incorporés de plein droit à ce même domaine dans un demi-siècle, avec tous les droits d'exploitation afférant, et cela à moindre coût. Même si je ne suis pas un ardent défenseur de l'intrusion du secteur privé dans le domaine des services publics, y compris culturels, force est bien de faire preuve d'un peu de réalisme, tant que le système actuel tient debout. Les baux emphytéotiques et les contrats de partenariat public/privé sont désormais des procédés incontournables pour les collectivités : elles peuvent ainsi continuer à déployer leurs services et à construire les infrastructures publiques nécessaires.
Il y a des scandales manifestes à propos des sociétés autoroutières, il y a des scandales à propos des lignes de TGV, tel directeur de théâtre a pu être discrètement mis sur la touche pour avoir détourné les subventions, etc. mais le scandale est loin d'être aussi patent pour la Fondation Louis Vuitton.
En réalité, deux dogmes s'opposent autour de cette affaire. D'un côté, on salue cette fondation comme illustrant la fin d'une culture d’État liberticide, aux relents propagandistes ; de l'autre on critique l'instrumentation publicitaire de l'art, au service d'une économie toute puissante.