J’ai lu, ce matin, la décision du Conseil constitutionnel. Il est intéressant de constater ici la puissance du juge constitutionnel en matière de reconnaissance des libertés publiques. Voici ce que je pense, pour ceux qui auront le courage de me lire.
Dans cette décision, deux grands principes s'affrontent :
- D’une part, les libertés contenues dans l'article 10 Déclaration des droit de l'homme et du citoyen de 1789, et dans les droits sociaux reconnus dans le préambule Constitution de la IVe République (ces deux textes ont valeur constitutionnelle, à l’instar de la Constitution de 1958).
Il s'agit de la liberté de conscience : le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et ses croyances. Les maires et, en cas de délégation, leurs adjoints réfractaires au mariage pour tous pourraient être sanctionnés pour avoir refusé de marier des couples hоmоsехuеls. Cela constitue effectivement une punition pour un acte motivé par des considérations de conscience.
- D’autre part, on brandit le principe d'égalité devant de service. Ce principe relève, lui aussi, de la Déclaration des droits de l'homme, dans ses articles 1 (« les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ») et 6 (« la loi doit être la même pour tous. [...] Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux »). Dans une décision de 1986, le Conseil constitution a, par ailleurs, reconnu qu’une autorité publique « doit se conformer aux principes fondamentaux du service public et notamment au principe d'égalité et à son corollaire le principe de neutralité du service ». Si l'on refuse de marier des couples hоmоsехuеls, il y a effectivement une rupture d'égalité devant la loi et une violation au principe de neutralité de l'administration publique.
Ces deux grands principes s'affrontent et s'opposent ; ils ont exactement la même valeur constitutionnelle. Une fois encore, le Conseil constitutionnel a dû arbitrer entre les libertés publiques, et dire quelle liberté doit primer sur l'autre. Il l'a déjà fait à maintes reprise, en dégageant des « objectifs à valeur constitutionnelle » (comme en 1979, la continuité du service public limite le principe du droit de grève ; ou en 1982, la sauvegarde de l’ordre public limite la liberté de communication). Dans sa décision du 18 octobre dernier, le Conseil constitutionnel affirme, en substance, que la neutralité du service public doit primer sur l'exercice de la liberté de conscience des officiers d’état civil et de leurs représentants.
À mon sens, c'est une juste interprétation de la Constitution car, comme en dispose l’article 1er de la Constitution de la Ve République, le régime est laïc. Même si notre République respecte les croyances et les opinions de chacun, elle ne peut tolérer que des individus, lorsqu’ils agissent en tant représentants de l’État, puissent refuser d’appliquer la loi votée par les représentants de la nation souveraine. Ils sont effectivement libres de penser ce qu’ils veulent et de le dire, mais pas dans l’exercice de leurs fonctions.
Un "détail" cependant me fait hérisser le poil : permettre aux juges de borner et reconnaître nos libertés publiques est dangereux. Comme en dispose la Déclaration des droits de l’homme, c’est à la norme édictée par la nation de définir la portée des libertés, et non au pouvoir judiciaire. Le juge constitutionnel doit appliquer la Constitution et non créer le droit constitutionnel. La proclamation des droits individuels et la hiérarchie des libertés publiques devrait relever des titulaires de la souveraineté nationale, et non du pouvoir des juges, d’autant que ceux-ci sont nommés par le pouvoir politique et usurpent parfois le titre de « sages » qu’on leur attribue. Ici, la juridiction a appliqué un « objectif à valeur constitutionnelle » qu’elle a elle-même créé, en nous faisant croire qu’elle se bornait à interpréter le texte constitutionnel. C’est une entorse au principe de séparation des pouvoirs, fût-il souple dans notre régime ; ce principe veut distinguer les autorités qui créent le droit des autorités qui l’appliquent, afin de limiter les possibilités de dérives. Je comprends donc la colère des pseudo-« objecteurs », même si je suis convaincu qu’ils ont tort et qu’ils se fourvoient dans leur lecture de la Constitution, pour des raisons bassement partisanes.