Sujet de discussion : Quan vei la lauzeta mover sas alas
sergeclimax69007
Membre suprême
6 juillet 2013 à 22:37
Bernart de Ventadorn (Bernard de Ventadour) est, certainement, le Тгоubadour le plus doué pour le grand chant d'amour.
Et "Quan vei la lauzeta mover" est, certainement, son grand chant le plus suggestif par ses images de pâmoison d'un alouette montée au plus haut du ciel et qui se laisse tomber, d'émoi, comme un plomb, dans la lumière la plus éclatante du soleil.
Il y a là une symbolique de l'amour très puissante, et du point de vue éгоtіԛuе, des connotations à n'en pas douter des plus réussies.
Ce grand chant d'amour, très codifié, est de la part de Bernart de Ventadorn, que sa "vida" (sa biographie romancée) qualifie de fils d'un pauvre qui travaillait à enfourner du pain dans le four banal, un sommet de la lyrique occitane.
Texte : 1. Can vei la lauzeta mover -Quand je vois l'alouette remuer De joi sas alas contral rai, - De joie ses ailes en montant aux rayons Que s'oblid' e.s laissa chazer - Et perdre les sens, se laisser tomber Per la doussor c'al cor li vai, - A cause de la douceur en son coeur, Ai! Tan grans enveya m'en ve - Ah ! J'ai une telle епvіе De cui qu'eu veya jauzion, - de celle que je vois dans la joie Meravilhas ai, car desse - Que je m'étonne qu'à cause de ceci Lo cor de dezirer no.m fon. - De désir le coeur ne me fonde.
2. Ai, las! Tan cuidava saber - Hélas, je croyais tant connaître D'amor, e tan petit en sai, - L'amour, et je le connais bien peu, Car eu d'amar no.m posc tener - puisque d'aimer je ne me réfrène Celeis don ja pro non aurai. - Celle dont jamais je n'aurai rien. Tout m'a mo cor, e tout m'a me, -Elle m'a pris mon coeur, moi-même E se mezeis e tot lo mon; - Et m'a enlevé elle-même, et le monde ; E can se.m tolc, no.m laisset re - Tout m'enlevant, elle ne me laissa Mas dezirer e cor volon. - Rien que le désir et une coeur désireux.
3. Anc non agui de me poder - Depuis, je n'ai plus eu pouvoir sur moi Ni no fui meus de l'or' en sai - Et ne me suis possédé désormais Que.m laisset en sos olhs vezer - Elle ma fait voir dans ses yeux En un miralh que mout me plai. - En un miroir très délicieux. Miralhs, pus me mirei en te, - Miroir, plus je me suis miré en toi M'an mort li sospir de preon, - Plus m'ont mis à mort mes soupirs C'aissi.m perdei com perdet se - Ргоfопԁs, et je me suis perdu Lo bels Narcisus en la fon. - Comme Narcisse dans la fontaine.
4. De las domnas me dezesper; - Des dames je désespère Ja mais en lor no.m fiarai; - Jamais plus je ne m'y fierai C'aissi com las solh chaptener, - Comme je les maintenais haut Enaissi las deschaptenrai. - Maintenant je vais les rabaisser. Pois vei c'una pro no m'en te - Je n'en vois aucune me défendant Vas leis que.m destrui e.m cofon, - Contre celle qui me met à mort, Totas las dopt' e las mescre, - Alors je les crains toutes et ne crois Car be sai c'atretals se son. - Car je sais bien comment elles sont.
5. D'aisso's fa be femna parer - En cela, elle est bien une femme Ma domna, per qu'e.lh o retrai, - Ma dame, en ce qu'elle reflète Car no vol so c'om voler, - Car elle ne veut pas ce que l'on voudrait E so c'om li deveda, fai. - Et ce qui lui est dû, elle l'accomplit. Chazutz sui en mala merce, - Je reçois de sa part une mince pitié Et ai be faih co.l fols en pon; - [là je ne comprends pas] E no sai per que m'esdeve - Et je ne sais pourquoi je deviens fou Mas car trop puyei contra mon. - Si ce n'est d'avoir bataillé avec tous
6. Merces es perduda, per ver, - La charité est perdue, pour de vrai, Et eu non o saubi anc mai, - Et je n'en sais pas davantage, Car cilh qui plus en degr'aver, - Ceux qui devraient le plus en avoir No.n a ges, et on la querrai? - N'en ont point, et où la chercher ? A! Can mal sembla, qui la ve, - Ah, quel mauvais semblant, à la voir, Qued aquest chaitiu deziron - Il me reste mon pauvre désir tгапsi Que ja ses leis non aura be, - Qui n'aura pas de rétribution, Laisse morrir, que no l.aon. - Qu'on le laisse mourir, sans lieu.
7. Pus ab midons no.m pot valer - Auprès de ma dame ne me vaut Precs ni merces ni.l dreihz qu'eu ai, - Prière ou pitié, ni mon acquis Ni a leis no ven a plazer - Ni mon droit ne me font de рlаіsіг. Qu'eu l'am, ja mais no.lh o dirai. - Je l'aime, mais ne le lui dirai pas Aissi.m part de leis e.m recre; - Et je m'en sépare et m'en réjouis : Mort m'a, e per mort li respon, - Elle m'a tué, et mort je lui réponds, E vau m'en, pus ilh no.m rete, - Plus je m'éloigne, moins elle me Chaitius, en issilh, no sai on. -Retient, perdu en exil, n'importe où.
8. Tristans, ges no.n auretz de me, - Tristan, vous n'aurez plus rien Qu'eu m'en vau, chaitius, no sai on. - De moi, je pars, perdu, ailleurs De chantar me gic e.m recre, - De chanter je m'abstiens et m'éloigne E de joi e d'amor m'escon. - Et me cache à la joie et à l'amour.
(Traduction partielle en français de Climax69007, samedi 6 Juillet) (Traduction presque totale, ce dimanche 7 Juillet, selon mes capacités de compréhension, à vérifier avec d'autres traductions !!!)
yoomy
Membre suprême
6 juillet 2013 à 22:48
Bonser ! :D
Désolé d'importuner ton topic, mais cela fait (si mes souvenirs sont bons) deux ou trois fois que je te vois poster des sujets sur la "chose occitane", donc, bah, merci/bravo. Puis-je te demander d'où cela te "vient" ? Enfin, tu n'es pas obligé de répondre. Mais bon, ça ne doit pas être simplement une question de culture générale pour le coup.
Adieu ! ;)
sergeclimax69007
Membre suprême
6 juillet 2013 à 23:27
Cela me vient de très loin.
Depuis mon adolescence, où j'ai eu la chance d'avoir un professeur de français qui nous a fait étudier François Villon en entier, la poésie du Moyen-âge m'attire.
Et plus tard, j'ai pris des cours par correspondance pour apprendre au moins à lire l'occitan, car je passais des vacances en été, vers Yssingeaux, en plein pays de langue occitane, et j'avais pour voisins, dans le hameau comptant au maximum une dizaine de personnes où nous étions, un vieux couple, charmant, qui parlait entre elle et lui l'occitan (c'est là que j'ai constaté combien la France est plurilingue).
Et, ayant appris à lire l'occitan, j'ai pu et je peux encore me régaler avec la poésie occitane, d'hier et d'aujourd'hui, ou avec des romans très contemporains. Et j'ai cultivé l'intercompréhension romane.
Je dois dire que je n'ai jamais vu de plu belle anthologie relative aux Тгоubadours que celle faite par Jacques Roubaud (publiée à l'époque chez Seghers), anthologie hélas indisponible, reproduisant exactement la graphie et l'absence de ponctuation des textes originaux, avec sa traduction française en regard. C'est "Les Тгоubadours. Anthologie bilingue".
C'est donc la beauté de textes anciens qui m'a saisi !!! Et la continuité de la langue occitane qui m'a séduit.
--- Pour l'intercompréhension, tant à l'огаl qu'à l'écrit, des locuteurs des diverses langues romanes (dérivant du latin), le livre de Paul Teyssier - grand connaisseur, philologue et traducteur du portugais - est capital.
--- La photographie de la première page de couverture de la superbe anthologie due à Jacques Roubaud.
yoomy
Membre suprême
6 juillet 2013 à 23:37
Merci, j'ai toutes mes réponses
Je ne développerai pas davantage ("Oh, ça ne m'étonne pas, il m'a tellement l'air superficiel"), cela prendrait trop de temps.
yoomy
Membre suprême
6 juillet 2013 à 23:42
Ah ? Monsieur est lusophone également ?
sergeclimax69007
Membre suprême
6 juillet 2013 à 23:45
Il n'y a pas de quoi ; ce n'est pas un penchant livresque mais le fait d'une vie humaine qui m'a conduit à apprécier les Тгоubadours.
D'entendre parler occitan m'a dessillé les yeux, ouvert au plurilinguisme, et fait admettre la pluralité des langues - à commencer par ici, en France -, et par là même j'ai eu accès à beaucoup de beautés et d'émotions.
yoomy
Membre suprême
6 juillet 2013 à 23:51
Très bien oui, c'était principalement "la vie humaine" qui m'interpellait dans ton intérêt sur la question occitane.
M'enfin, j'ai eu ma réponse... Mais le dialogue est apparemment fermé.
Bon ser :)
sergeclimax69007
Membre suprême
7 juillet 2013 à 00:15
Mais, pas du tout fermé, il y a le legs occitan à la littérature galaïco-portugaise, et lorsque, pour des raisons d'amour on apprend le portugais (l'amour pouvant passer, mais pas une langue apprise par amour !!!), voilà au moins deux raisons d'apprendre le portugais, la troisième étant la beauté de la langue, la quatrième la présence massive de l'immigration portugaise en France pour des raisons de guerres coloniales (provoquant des désertions) et pour des raisons de pauvreté due au régime fasciste de Salazar, la cinquième que ces personnes sont adorables, la sixième que le Portugal est admirable, la septième que le monde lusophone est planétaire, la huitième qu'une langue où "рutаіп" se dit "meretriz" (mot dérivant directement du latin "meretrix") donne l'impression de parler latin au XXIe siècle, ... bref , tout cela est cohérent, cela se tient, voilà
--- A propos des Тгоubadours, l'introduction de la dernière anthologie digne de ce nom, où l'auteur n'observe pas une froideur seyant aux scientifiques ; il déplore très fermement qu'en France la plupart soient tenus dans l'ignorance des Тгоubadours, car les textes de ces derniers ont été publiés dans des collections comme "Les Classiques Français du Moyen-Âge" (les "CFMA") de la librairie Champion, pour des spécialistes de la littérature ou de la linguistique ou pour des aficionados comme moi qui cours les librairies, et trouve, de temps à autre, des volumes anciens de cette collection (où les textes occitans ne sont pas réédités), ou bien nous avons la volumineuse et très coûteuse édition de Martín de Riquer, en trois volumes, et avec un commentaire en espagnol (édition de 1975).
Bref : on snobe les Тгоubadours, pour des raisons de pureté nationaliste (un pays, la France, en devenir, depuis toujours ; avec une langue unique, surmontant les "patois", depuis toujours ; et avec une littérature fondatrice en français, depuis toujours, PRÉTENDUMENT) ; et quand on mentionne les Тгоubadours, on passe très vite dessus dans les manuels d’enseignement, où la plupart du temps ils ne sont même pas donnés dans le texte original ; d'où l'immense ignorance des Français quant aux origines occitanes de la poésie française et européenne en langue dite "vulgaire" (c’est-à-dire du peuple).
"Signe de l’intérêt croissant pour la lyrique des tгоubadours, cette anthologie lui est tout entière consacrée. Les poètes d’oc méritent en effet d’être plus largement connus ; ne serait-ce que pour l’élan initial qu’ils ont donné à la poésie européenne en langue vulgaire et pour la nouvelle conception de l’amour propagée par leurs chants.Cette beauté ne doit pas être réservée aux savants. C’est pourquoi Paul Fabre a veillé ici à éclairer les mots et le contexte. Ainsi, huit cents ans après, le lecteur entendra mieux cette parole et sera saisi par son pouvoir d’évocation. "
yoomy
Membre suprême
7 juillet 2013 à 00:19
Ce n'est pas dans ce sens que je disais cela. Mais plutôt un truc du genre "et toi, pourquoi t'intéresses-tu à ceci cela ...". Juste histoire de faire vivre ton sujet et la discussion, susciter un débat... Dommage. Bref !
sergeclimax69007
Membre suprême
7 juillet 2013 à 00:42
Mais le débat est lancé : sur ce site, en majorité nous avons des fanas de l'anglo-saxon, langue tard venue, langue de l'Empire ԁоmіпапt, langue apprise dans des buts strictement pragmatiques et commerciaux et pour décerveler la population (l'adapter à la "mobilité") ; et alors qu'en est-il des autres langues, de l'occitan qui crève, du français qui en prend le chemin à force de ne pas admettre la pluralité de ses évolutions (la francophonie étant très impérialiste) ?
Oui, qu'en est-il de la poésie ?
Joan Baez chante en anglais, mais ce n'est certes pas l'anglais, le pauvre anglais, la lingua franca que l'on fourgue aux élèves et aux adultes sous prétexte d'efficience économique (alors qu'un lusophone, par exemple, sera bien plus recherché par des entreprises, parce que parler l'anglais est d'un commun navrant).
Qu'en est-il de la poésie et de la pensée vivantes, émues, sensibles quand on découpe l'enseignement des langues, comme dans le Cadre Européen Commun de Référence, en niveaux de compétences, en excluant la culture des pays pratiquant telle ou telle langue ?
En anglais, maintenant, nous avons des manuels de langue, avec des niveaux A1-A2, B1-B2, ... d'une insigne pauvreté et des manuels de littérature, comme si les deux étaient exclusives l'une de l'autre !
Misère !!!
Alors, oui, vivent les Тгоubadours !!!
Et quand bien même ce sujet serait consulté par vingt personnes seulement, je persisterais à poster des sujets occitans.
Tiens, les "Fabulous Тгоubadours", par exemple !!!