- 14 septembre 2014 à 14:18
Cette lettre, certes, ne provient pas de moi.
Je la propose d'abord à votre appréciation, puis à votre sagacité (évitez, SVP, les prétendues "recherches" avec les moteurs de recherche qui ne pensent pas et détiennent seulement un grand pouvoir de recoupement !)
Il y aura trois livraisons, parce que la copie à la main, sur un clavier, doit épouser le temps de l'écriture avec un stylo. Mais, aussi, parce que la seconde partie devient très factuelle, et vous donne les clés de cette petite énigme.
J'omets à la fois la datation, le lieu d'envoi, et la première ligne d'adresse à l'être aimé.
"Je t'écris de nouveau parce que je suis seul et parce que cela me gêne de passer mon temps à mener des dialogues avec toi dans ma tête sans que tu en saches ou en apprennes rien ou ne puisses rien me répondre. Si mauvais que soit ton portrait, il me rend les meilleurs services, et je comprends à présent comment même les "madones noires", les portraits les plus décriés de la Mère de Dieu, ont pu trouver des admirateurs inusables, et même plus d'admirateurs que les bons portraits. En tout cas, aucune de ces images de madones noires n'a jamais été l'objet de plus de Ьаіsегs, d’œillades et d'adorations que ta photographie, qui certes n'est pas noire, mais maussade, et qui ne reflète pas ton cher et aimable visage, si dolce à ma Ьоuсhе. Mais je corrige les rayons de soleil qui ont peint de travers, et trouve que mes yeux, si gâtés qu'ils soient par la lumière des lampes et le tabac, sont tout de même capables de peindre, pas seulement en rêve, mais aussi éveillés. Je t'ai devant moi, en chair et en os, et je te bichonne, et je t'embrasse de la tête aux pieds, et je tombe à genoux devant toi, et je soupire : "Madame, je vous aime". Et je vous aime en vérité plus que le Maure de Venise n'a jamais aimé. C'est avec fausseté et fainéantise que le monde faux et fainéant affabule tous les personnages. Qui, de mes nombreux calomniateurs et ennemis à langues de vipère, m'a jamais reproché que j'aurais pour vocation de jouer le rôle du jeune premier dans un théâtre de deuxième classe ? Et c'est pourtant vrai. Si ces gredins avaient eu de l'esprit, ils auraient peint d'un côté "les conditions de production et de communication" et, de l'autre, moi à tes pieds, Look to this picture and to that - auraient-ils écrit en-dessous. Mais ce sont des gredins stupides, et stupides ils resteront, in seculum seсulorum.
L'absence momentanée a du bon, car, présentes, les choses se ressemblent trop pour qu'on puisse les distinguer. Même des tours apparaissent de près comme des naines, tandis que le petit et le quotidien, regardé de près, grandit trop. Ainsi en va-t-il des passions. De petites habitudes, qui, sous l'effet de la proximité avec laquelle elles vous assaillent, prennent la forme de passions, disparaissent dès que leur objet immédiat est soustrait à l’œil. De grandes passions, qui sous l'effet de la proximité de leur objet, prennent la forme de petites habitudes, grandissent et reprennent leurs proportions naturelles grâce à l'effet magique du lointain. Ainsi en va-t-il de mon amour. Il suffit que tu me sois enlevée par le simple rêve, et je sais aussitôt que ce temps ne lui aura servi qu'à ce que soleil et pluie aident les plantes, à croître et à embellir. Mon amour pour toi, dès que tu t'éloignes, apparaît pour ce qu'il est, un géant dans lequel se concentre toute l'énergie de mon esprit et toute la fougue de mon cœur. Je me sens à nouveau homme, parce que j'éprouve une grande passion, et la dispersion dans laquelle nous empêtrent l'étude et la culture moderne, et le scepticisme avec lequel nécessairement nous déprécions toutes nos impressions subjectives et objectives sont tout à fait susceptibles de nous rendre petits, faibles, geignards et indécis. [J'omets un phrase trop révélatrice]
Tu vas sourire, mon doux cœur, et demander comment j'en viens soudain à toute cette rhétorique ? Mais si je pouvais serrer contre mon cœur ton doux cœur blanc, je me tairais et ne dirais mot. Ne pouvant embrasser avec les lèvres, il faut que j'embrasse avec la langue et que je fasse des phrases. Je pourrais en vérité écrire même des vers et rimer sur les modèles des Libri Tristium, [trois mots omis ici] Livres des Lamentations, d'Ovide. Il n'était exilé que par l'empereur Auguste. Mais, moi, je suis exilé par toi, et ça, Ovide ne l'a pas compris.
Il y a en vérité de par le monde pas mal de femmes, et quelques-unes sont très belles. Mais où trouverai-je un visage où chaque trait, voire chaque ride réveille les plus grands et les plus doux souvenirs de ma vie. Même mes infinies douleurs, mes irréparables pertes, je les lis dans ta douce face, et, embrassant ton doux visage, je surmonte par des Ьаіsегs ma douleur. "Enseveli dans ses bras, réveillé par ses Ьаіsегs" - c'est-à-dire par tes bras et par tes Ьаіsегs, et je fais cadeau aux brahmanes et à Pythagore de leur doctrine de la renaissance et au christianisme de sa doctrine de la résurrection."
A SUIVRE !!!