je continue mes sources copiées collées que j'ai lues attentivement ....
Les quatre évangiles canoniques sont des œuvres de synthèse. Ils rassemblent et combinent des traditions plus anciennes, en vue d’offrir à leur public un portrait cohérent de Jésus. On peut dire que chacun, à sa manière, fait déjà œuvre « œсuménique » en articulant plusieurs points de vue sur l’homme de Nazareth. À la différence de Paul et des traditeurs de la Source, leurs auteurs n’appartiennent pas à la première génération chrétienne, mais à la deuxième ou à la troisième génération. Avant eux, la mémoire de Jésus a circulé sous forme огаlе. Progressivement, dans les années 40 à 60, de petits récits (paroles, paraboles, miracles) se sont agglutinés les uns aux autres et fixés par écrit.
Deux facteurs ont contribué à la naissance de cette mémoire. D’une part, la communauté croyante avait besoin de s’appuyer sur le souvenir de sa vie et de son enseignement pour le culte, la catéchèse, l’évangélisation. D’autre part, et James Dunn a insisté là-dessus, il faut compter avec « l’effet Jésus » : l’impact laissé sur ses disciples par cette personnalité hors du commun. Sous cette double impulsion, à la fois en fonction des souvenirs et des besoins, des bribes de mémoire ont été préservées à profusion. Ces conditions expliquent pourquoi des éléments biographiques, qui nous passionnent tant aujourd’hui, sont absents : l’apparence physique de Jésus, ses sentiments, son évolution psychologique nous échappent, car la mémoire collective ne se nourrissait pas de cela, mais plutôt des gestes et des paroles jugés significatifs. De plus, les premiers chrétiens (souvent, mais pas toujours) n’ont pas retenu les circonstances dans lesquelles avaient été prononcées telle parole ou telle parabole – si tant est qu’elle n’ait été dite qu’une seule fois ! La parole comptait plus que l’interlocuteur.
Marc, qui écrit aux environs de 65, a fait œuvre de pionnier. Pour la première fois, un récit continu rassemblait des traditions éparses sur Jésus, depuis la prédication du Baptiseur jusqu’à la mort. Marc a recueilli des récits de miracles en mаssе (le quart de l’évangile) et des séquences d’enseignement comme la série de paraboles de Mc 4 (4, 3-9.13-20.26-32). Il a intégré et amplifié l’histoire de la Passion (Mc 14–15), dont un premier récit à but liturgique remonte à l’Église de Jérusalem dans les années 40. Cet évangéliste place toute la vie de Jésus sous l’horizon de sa mort, annoncée dès le début (3, 6). Le genre littéraire « Évangile » n’est pas une pure invention de sa part ; il s’affilie à la biographie gréco-romaine, un type de récit à but moral centré sur un héros. La différence tient à la visée : il ne s’agit pas seulement de présenter une vie exemplaire, mais de nourrir la foi des auditeurs/lecteurs par une narration croyante de sa vie.
Une dizaine d’années plus tard, Matthieu décide de réécrire la vie de Jésus. Il réutilise presque tout le récit de Marc et copie sa structure, ce qui signale l’autorité dont jouissait le premier évangile ; mais d’autres traditions circulaient dans sa communauté, qu’il fallait intégrer. Matthieu amplifie donc Marc de paroles recueillies dans la Source et de traditions propres à son Église (la tradition M). Parmi ces dernières, l’Évangile de l’enfance (Mt 1–2), des paraboles (l’ivraie, les dix vіегgеs, le serviteur impitoyable, etc.) et des débats sur l’interprétation de la Torah. Pour faciliter le catéchisme de sa communauté, faite de croyants judéo-chrétiens de Syrie (Antioche ?), il regroupe en cinq grands discours l’enseignement de Jésus. Le point de vue qui conduit sa plume : montrer que Jésus est le Messie d’Israël, annoncé par les Écritures et rejeté comme le furent tant de prophètes.
Encore dix ans plus tard (80-90), Luc rédige un Évangile suivi des Actes des apôtres. Lui aussi reprend une bonne partie de l’Évangile de Marc et des paroles de la Source, mais la part de ses traditions propres (tradition L) ascende à la moitié de son Évangile ; on lui doit un Évangile de l’enfance différent de Matthieu (Lc 1–2), de nouveaux récits de miracles et un trésor de paraboles (le Samaritain, le fils prodigue, le riche et Lazare, etc.). Luc destine son écrit à une chrétienté de culture grecque, pour laquelle il reformule le langage de ses sources. Son point de vue : Jésus est décrit à la manière des philosophes itinérants, sage et compatissant.
Le quatrième Évangile, Jean, est d’une toute autre facture. Tardif, il résulte d’une impressionnante réinterprétation de la tradition de Jésus, indépendante de ses prédécesseurs. Autant le Jésus de Marc parle peu et agit beaucoup, autant le Jésus de Jean énonce de longs discours à forte densité théologique. Ces discours sont le résultat d’un long processus de méditation au sеіп de l’école johanпіԛuе, centré sur le rapport entre le Christ et son Église. Cet évangile est un portrait spirituel de Jésus, dont les éléments biographiques ont été réduits au minimum. Il a été longtemps considéré comme inutilisable dans la quête du Jésus de l’histoire, puis l’opinion s’est nuancée. Comme le remarquait déjà Ernest Renan dans sa Vie de Jésus de 1863, « un ouvrage rempli d’intentions théologiques peut renfermer de précieux renseignements historiques ». Deux exemples. La durée de l’activité publique de Jésus se monte à trois ans comme l’indique Jean plutôt qu’à quelques mois (si l’on additionne les notations chronologiques dans les trois premiers évangiles). La mort de Jésus doit être datée de la veille de la Pâque (Jn 19, 14) plutôt que du jour de la fête comme le laisse entendre Marc (Mc 14, 12). Ainsi, en dehors des discours manifestement tardifs, le quatrième Évangile peut être requis comme une source secondaire appréciable.
Si l’on additionne les sources chrétiennes du premier siècle, le compte est à six : Paul, la Source des paroles de Jésus (Ԛ), Marc, la tradition M (Mt), la tradition L (Lc), Jean. Paul et Jean étant moins productifs historiquement, les ressources principales se regroupent dans la tradition synoptique, à savoir les trois premiers évangiles : Marc, Matthieu et Luc. Mais qu’en est-il des évangiles non retenus dans le Nouveau Testament ?