Bewild, je conçois, après ce que tu nous narres de ton ехрéгіепсе, que tu aies les plus grands doutes envers la capacité des enseignants à ne pas mettre en avant leur propre idéologie.
Dois-je spécifier ici que je suis trotskiste, c'est-à-dire un membre de ce courant qui, dès 1925, a reconnu, dénoncé, et combattu la bureaucratie oligarchique stalinienne, la grande massacreuse des communistes (dois-je rappeler les ignobles procès de Moscou, entre 1936 et 1938, qui condamnèrent à mort tous les compagnons de Lénine ?), la grande pourvoyeuse des défaites (la police politique stalinienne n'aura pas peu fait pour assassiner les libertaires, les communistes anti-staliniens, durant le guerre civile en Espagne...) Voilà pour mon positionnement, depuis l'adolescence.
Mon ехрéгіепсе est tout autre. En terminale, j'ai eu un merveilleux professeur de philosophie, membre du Parti communiste français. Il savait mes opinions, je savais les siennes. Dois-je dire que ses cours étaient passionnants, formateurs, et que l'entendre raisonner tout haut pour définir l'objet de la philosophie, ses méthodes m'ouvraient le monde de la pensée partagée ? "Le discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes" de Jean-Jacques Rousseau, pris à bras-le-corps, fut une ехрéгіепсе captivante. Cet homme, de plus, dirigeait l'équipe du festival international du film de Saint-Étienne (avant que la droite ne le saborde) ; c'était un immense succès populaire ; grâce à l'action qu'il coordonnait, les Stéphanois ont pu voir des films grecs, canadiens, hongrois, des Etats-Unis d'Amérique, des pays d'Amérique latine, et j'en oublie. Bref, ce qui l'intéressait, ce n'était pas de réciter un dogme, mais l'exercice de la pensée. Et la beauté.
Pour moi, c'est un modèle : il m'a donné le goût des philosophes présocratiques, il m'a donné l'amour des mots ; et, surtout, il m'a démontré que la philosophie - qui pourrait être l'enseignement le plus dogmatique - était d'abord l'exercice du questionnement, et de la révocation des préjugés établis par la non-pensée.
Je persiste à croire qu'un professeur laïc peut et doit négocier avec ses propres opinions, qu'il doit d'abord transmettre un savoir et non fourguer de l'idéologie, et qu'il doit veiller à la pensée de ses élèves, à son exercice, en serait-il heurté, car ce qui importe est cette pensée-là, multiple, en devenir, et non sa conformation.
C'est bien parce que l'enseignement laïc doit transmettre des savoirs pensables qu'il doit s'interdire de propager - serait-ce sous le prétexte de la connaissance - les dogmes des différentes religions : les dogmes, par définition, ne se discutent pas ; je ne suis pas professeur laïc pour fourguer de l'intangible, de l'inconnaissable ("Dieu" est par définition indicible et inconnaissable), et des articles de foi ; il y a pour cela le catéchisme, ou ses équivalents pour d'autres religions que le catholicisme.
Et je ne saurais cautionner cette resuсée de la morale que le président François Hollande voudrait faire transmettre aux enseignants : il y a maldonne ; il y a erreur sur les personnes ; ce n'est pas notre rôle ; nous n'avons pas à tripatouiller les consciences ; les professeur laïcs ne sont pas au service de l’État mais au service de leur public, ils ne sauraient être instrumentalisés par un personnage si haut placé soit-il ; François Hollande viole la laïcité de l'enseignement public, en voulant nous transformer en prédicateurs d'une morale, serait-elle jugée publique et commune !!!