Juiien nous a écrit une petite suite :
Intro :
Jacques et Simon, assis sur un muret de la ville, observaient les passants à l'heure des embauches en arborant leur air carnassier des mauvais jours. Avec les véhicules qui circulaient, cela faisait beaucoup de monde mais comme d'habitude personne ne remarquait la présence de nos deux malfrats et pour cause, Jacques et Simon ne sont pas visibles des êtres humains. Jadis , ils avaient eux aussi arpenté ce monde en tant que mortels mais cela faisait déjà plusieurs siècles qu'ils avaient cessé de vivre. Ils sont ce que l'on nomme des << entités >> faute d'appellation plus précise. Tous deux obéissaient à une force dont ils ne connaissaient ni l'origine ni l'étendue de l'autorité. Tout en cherchant leur prise, ou plus exactement ce qu'ils appelaient un vaisseau, le graal de leur prochain grand coup, ils commentaient les tronches fatiguées des salariés qui commençaient leur journée de labeur. Personne ne correspondait aux instructions qu'ils avait reçues. Personne pour revêtir le masque mortuaire de l'Ancien. Personne d'assez pure pour accueillir sa majesté d'outre monde.
<< J'en peux plus d'attendre ! J'ai faim ! Faut que j'en consume un pour me calmer !
— Patience Jacques ! Moi aussi je suis las des ordres de Robert mais ni toi ni moi ne pouvons nous extraire de ses liens.
— On pourrait au moins se faire рlаіsіг un peu en attendant le bon ! Autant bouffer quand on le peut puisqu'on est là ! >>
Et en un clin d'œil, Simon disparut de la vue de Jacques. Puis une scène de chaos se produisit : des survivants évoquèrent, non sans honte, l'image angoissante et vaporeuse d'un visage grimaçant se dessinant sur les rétroviseurs et les parebrises des véhicules. Un accident en chaîne s'ensuivit, provoquant un gigantesque incendie. De nombreuses vies furent perdues ce jour-là. Les cris et les visions d'horreur poussèrent la plupart des survivants à l'asile. Parmi les témoignages les plus saisissants, la description de l'ombre d'une salamandre s'échappant des flammes fut évoquée à de nombreuses reprises. Plus discrètement, une jeune fille, éjectée de son véhicule, évoqua la présence nébuleuse d'un être reptilien et diffus qui s'infiltrait dans les corps brûlants. Elle finit par succomber dans un service d'urgences, étouffée par sa propre salive.
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1
Cela faisait longtemps qu’elle était allongée sur ce lit entre ces murs blancs et toutes ces machines. Elle distinguait à peine ce qui se passait autour d’elle : voir était devenu exténuant. De drôles de formes apparaissaient au loin sans qu’elle puisse déterminer ce qu’elles étaient ; sans contour défini, son environnement était embué, telle une vitre. Et la vitre c’était elle : froide, inerte, fragile. Elle remuait de temps à autre quelques ԁоіgts pendant ces périodes de léthargie laiteuse sans comprendre qu’ils lui appartenaient. Heureusement, bientôt elle retournerait chez sa sœur jumelle, Séréna, son père et sa mère s’y trouvent déjà et elle avait grande hâte d’explorer le jardin de leur nouvelle maison. Parfois des échos caverneux la ramenaient à d’étranges secousses dont elle ignorait l’origine ou la signification. Prunille revint un grand nombre de fois dans cette pièce pour ne faire qu’attendre, pendant que Séréna continuait à s’amuser dans l’immense jardin.
Maman lui avait dit qu’il y avait une princesse qui vivait non loin de là dans une belle maison, voisine de la sienne, et que Séréna allait bientôt faire sa connaissance. Prunille voulait s’y rendre aussi mais sa mère ne la laissait pas franchir la limite du domaine pour aller faire connaissance avec les aristocrates d’à côté. À la différence de Séréna qui avait carte blanche pour parcourir la vallée à sa guise. Un jour, alors que Séréna revenait de l’une de ses aventures, elle lui annonça que la princesse Eluan viendrait les voir le lendemain. Prunille remarquait qu’à chaque fois qu’elle revenait d’une escapade, sa sœur avait toujours l’air un peu changée : ses cheveux d’habitude bruns se paraient de reflets roux qui exprimaient tous leur feu sous la lueur blafarde de la lune.
Le jour promis, Eluan se présenta à la famille, assise au pied de l’aulne centenaire de la vallée avec son luth en chantant les merveilles de son royaume : son chant rappelait ces histoires oubliées de jadis où des chevaliers errants terrassaient d’immondes bêtes pour conquérir le cœur de princesses endormies, il rendait hommage aux temps anciens où le peuple caché arpentait la surface de la terre en compagnie des humains et de ce qu’elle nommait à plusieurs reprises l’antique alliance.
Fascinée, Prunille s’avança en dehors du domaine. Pour la première fois, sa mère la laissa faire. Séréna lui donna la main et elles allèrent trouver la princesse au pied de l’arbre vénérable. L’aulne était tout sauf ordinaire, ses feuilles étaient parées d’or et d’argent, celles-ci scintillaient à mesure que les enfants s’en approchaient.
Eluan accueillit avec un sourire bienveillant cette arrivée et s’adressa directement à Prunille :
« Ma chère enfant, nous nous rencontrons enfin, Séréna m’a appris tellement de choses sur toi. J’espère que tu te plais ici, à Longue-Feuille. Nous avons tellement de choses à nous dire. Tu vois cet arbre derrière moi ? C’est notre sanctuaire, l’entrée dans le royaume de Tara. Je vais te donner la marque qui te permettra de venir nous voir à tout moment, pourvu que tu te rappelles de notre rencontre. Tends-moi ta main. »
Prunille lâcha la main de Séréna et sur sa paume diaphane un petit tourbillon, comme une cicatrice discrète à peine visible, se dessina. Puis la vision de sa mère et de son père souriants saisit son cœur d’enfant.
« Nous t’aimerons toujours, petite fée. » furent leurs dernières paroles.
L’enfant rouvrit les yeux et pour la première fois, il y avait un humain devant elle, habillé d’une blouse blanche.
Elle était sur un lit et une personne pleurait en la regardant émerger. Clara, sa tante, était là.
« Tout va bien se passer. Le docteur Aunel s’est bien occupé de toi. Tu vas venir vivre avec moi maintenant, ma chérie.
— Papa ? Et maman ? »
À chaque question, Clara faisait non de la tête. Toutes deux pleurèrent à сhаuԁеs larmes en se prenant dans les bras.
Le docteur entra à ce moment-là.
« Je vois que tu es réveillée, Prunille. Tu nous as fait une belle frayeur la nuit dernière. On a vraiment pensé, mes collègues et moi, que tu ne parviendrais pas à t’en sortir. Et aujourd’hui, ton état est à peine croyable.
— Elle est stabilisée désormais ? C’est ce que l’infirmière m’a raconté tout à l’heure.
— Oui. Nous allons quand même devoir passer par quelques mois de rééducation. Trois mois dans le coma à un âge si jeune, ça laisse forcément des séquelles. Vous êtes la première patiente de 10 ans que je vois dans un tel état, jeune fille, dit-il en s’adressant à sa patiente. Et pourtant, vous avez réagi admirablement au traitement qui vous a été administré.
— Quand est-ce que je vais pouvoir sortir d’ici ?
— Dès que vous aurez terminé votre programme de rééducation.
— Et il commencera quand ? intervint Clara.
— Dans quelques jours en fonction de l’évolution de la situation. Des contrôles réguliers devront être effectués, y compris une fois de retour au domicile. À ce propos, il y a des formalités administratives qu’il conviendrait d’effectuer afin de faciliter son transfert chez vous. Je vais vous demander de me suivre, mademoiselle. Nous allons laisser Prunille se reposer. »
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Clara entendait le vent souffler à travers les vitres du vieil hôpital poussiéreux. Elle était ailleurs, sous le choc. Depuis cet appel matinal qui lui annonçait l'accident, elle savait que rien ne serait plus comme avant. Pourtant, Clara avait un espoir, elle sentait grandir une force en elle, une énergie insoupçonnée qui lui permettrait des années durant de s'occuper de la petite orpheline. Prunille s'enferma quelques temps dans le silence. Clara attendit que le temps fasse son œuvre. Elle régla les problèmes administratifs puis la suсеssion. La maison d'enfance fut vепԁuе, Prunille déchirée, encore. Dans le modeste appartement où elles continueraient leur chemin, une seule trace de ce passé demeura: une boîte en carton contenant quelques photographies heureuses. Témoignant d'un passé maintenant révolu, ces souvenirs devinrent refuge. Entre les mains de l'orpheline, ces vestiges grandissaient, prenaient vie et la submergeaient.