Voilà la suite !
Au cours de leur longue marche, Prunille avait posé mille et unes questions à l’étrange cavalier qu’elle suivait. Mais en guise de réponses, le gobelin s’était borné à des grognements ou à des «tais-toi et avance» assenés d’un ton sec. Sur quoi Prunille n’avait pu que tenter de deviner où elle était et comment elle était arrivée là. Elle avait fini pas conclure qu’il s’agissait d’un simple rêve mais cette réponse ne l’avait pas entièrement convaincue…
Elle en était là de ses réflexions quand elle se cogna contre un tronc. Celui-ci tangua violemment et Prunille tomba sur les fеssеs. En relevant la tête, elle réalisa sa méprise. Il ne s’agissait pas d’un tronc, mais de la tige d’une marguerite d’une taille monumentale. À moins que… La petite fille se remit sur pieds en s’appuyant à un rocher. Un rocher plus petit que la marguerite. Décidément, quelque chose n’allait pas…
- Tu ne peux pas regarder où tu vas petite cruche? Tu as probablement réveillé la fée qui vit dedans!
Le gobelin, descendu du lièvre qu’il chevauchait, regardait Prunille sans amorcer le moindre geste pour l’aider.
- Je ne l’ai pas fait exprès, pesta-t-elle en jetant un regard agacé à ce compagnon mal-aimable.
En réponse, il la toisa de haut d’un air narquois. De haut. Prunille aurait juré que lors de leur premier échange elle avait dû se mettre à genoux pour pouvoir le regarder en face. À présent, il mesurait une tête de plus qu’elle.
- Mais… mais… je suis une naine! S’écria-t-elle soudain affolée!
- Certainement pas. Les nains que je connais portent une pioche et sont bien plus robustes que toi! Tu as simplement rapetissé.
- Rapetissé? Mais c’est impossible!
- Bien sûr que si, puisque ça vient de t’arriver! Ah lala… grommela-t-il en faisant volte-face, bavarde, maladroite et bête avec ça…
Il continua de ronchonner dans sa ріре mais Prunille ne l’écoutait plus. Un spectacle saisissant s’offrait à elle.
Ils venaient d’entrer dans un endroit semblable à une forêt. Partout où elle posait les yeux, Prunille apercevait des légumes aux dimensions impressionnantes. Elle compris qu’ils devaient se trouver dans un potager géant… géant de son point de vue…
De nombreuses créatures s’affairaient. Là, un gobelin faisait claquer un fouet en direction d’un énorme campagnol qui tirait une corde dont l’extrémité était attachée à une touffe verte. Un instant plus tard, au pris de nombreux effort, l’animal fit sortir de terre une carotte plus grande que la fillette.
Plus loin, quatre gobelins maniaient tant bien que mal une énorme paire de ciseaux afin de sectionner un plant de tomates. Sa chute remua beaucoup de poussière et une fois celle-ci dissipée, Prunille constata que les gobelins avaient détaché toutes les tomates et les chargeaient dans une charrette tirée par deux hérissons. Pendant ce temps, un jeune gobelin intrépide étaient monté sur une tomate et faisait des cabrioles. Mais il perdit l’équilibre et la tomate roula, prit de la vitesse, roula encore puis s’écrasa contre un arrosoir. Prunille n’entendit pas le gobelin se faire vertement sermonné par un aîné car son attention s’était déjà portée sur une autre scène. Elle vit plusieurs créatures harnachées comme des cascadeurs scier des haricots que leurs camarades, en bas, hissaient sur leurs épaules et emportaient au loin.
- Attention à toi! Lui cria quelqu’un.
Prunille se retourna juste à temps pour éviter un drôle de convoi. Toute une rangée de canards passa d’un pas militaire sans même la voir. La fillette remarqua le képi sur le premier d’entre eux et eut le temps de lire «B.A.L.» sur le badge accroché autour du cou de chaque palmipède. Soudain, un grondement puissant retentit. Le sol se mit à trembler.
- Ils reviennent… Fuyons!
Ce fut le Ьгапlе-bas de combat. Canards, hérissons, campagnol et petits êtres prirent la fuite en emportant autant de légumes que possible.
Prunille fut plus longue à réagir. Mais quand elle aperçut par-dessus les plantes du potager ce qui avait fait fuir ses compagnons, elle décampa aussi vite qu’elle pût. Tout en essayant de les rattraper, elle tourna la tête et constata avec horreur que le monstre était presque sur elle, prêt à l’écraser. Ni une ni deux, elle se cacha derrière l’arrosoir. Le monstre passa dans un vacarme assourdissant. C’était une sorte de lézard géant, noir et jaune, sur le dos duquel se tenaient deux enfants gigantesques.
Tandis que l’animal s’éloignait et que le bruit de ses pas se dissipait, Prunille reprenait ses esprits. C’est alors que revint son guide.
- Tu aurais pu nous faire repérer, petite idiote! Lança-t-il, fulminant de colère.
Encore chamboulée, Prunille n’eut même pas la force de répondre. Elle suivit le gobelin, lequel rejoignait déjà les autres créatures. Tous se mirent en route, Prunille sur leurs talons. Voulant tout à la fois rompre le silence et faire connaissance, elle dit:
- Vous avez vu la taille de ce lézard!
- C’était pas un lézard, répondit le jeune gobelin qui avait joué à l’acrobate, un roux avec des taches de rousseur. C’était un triton. Tu ne sais pas faire la différence? Pourtant tu devrais.
- Pourquoi je devrais savoir ça?
- Parce que les tritons emmènent les humains comme toi à l’école.
- Je ne suis jamais allée à l’école à dos de triton! J’y vais en bus.
- C’est quoi ça?
- C’est comme une énorme charrette avec un moteur.
- Ah oui, comme celle qui a écrasé oncle Billy.
- Pourquoi avez-vous peur des humains? Demanda Prunille en voulant changer de sujet.
- Nous? On n’a pas peur d’eux! On tient juste à ne pas se faire repérer.
- Pourquoi?
- Pourquoi?! Parce qu’on chipe dans leurs potagers pardi!
Sur ce, il accéléra le pas. Prunille suivit le cortège du peuple de chapardeurs, la tête encore pleine de questions.