J'admire ton sens de la synthèse ! Il est vrai qu'en dépit de quelques réussites, de Gaulle a été bien meilleur résistant qu'il n'a été président
Si dans une telle phrase il n'y a pas un fond anti-gaullien ou de parti-pris, alors il faut d'urgence que vous m'abreuviez de vos saintes paroles...
Je reviens d'abord sur plusieurs points de votre texte :
Vous m'accusez d'être pro-gaulliste, à cause de mes références que vous jugez ''complaisantes''. Or, mon cher yggdrasil, si vous lisez ces deux ouvrages, vous verrez qu'ils n'ont rien de complaisants, même s'il s'agit de témoignages de ses ''admirateurs'' - terme à nuancer. Vous admettrez que remettre en cause la crédibilité d'ouvrages que vous n'avez pas lus est un peu faible du point de vue argumentatif... D'ailleurs, dans l'ouvrage d'A. Peyrefitte, on peut dire que le portrait est parfois très dur ! Ce dernier n'hésite pas à rapporter les propos les plus polémiques du Général, notamment sur sa position impitoyable concernant la question des harkis, qui est loin d'avoir fait l'unanimité depuis.
Vous m'accusez enfin de ''préjugés'' et de ''théories obsolètes''. Si je comprends bien, pour vous, une analyse qui n'est pas partagée par quelques constitutionnalistes actuels doit être rangée dans la catégorie des propos obsolètes ? C'est encore un procédé un peu simpliste, il me semble. De plus, lorsque vous parlez de ''pseudo régime semi-présidentiel'', n'est-ce pas une façon de dénigrer un peu facilement les analyses de M. Duvегgеr que vous ne partagez pas ?
Vous citez en outre plusieurs exemples d'interventions du Général de Gaulle dans les affaires courantes, que vous estimez anticonstitutionnelles. Je vous rappelle que dans la Constitution, aucun alinéa n'interdit au Président de la République d'influer sur les choix du gouvernement, il s'agit ni plus ni moins de son droit d'arbitrage lorsqu'il préside le conseil des ministres (déterminé par une loi orgaпіԛuе). En cas de désaccord, rien n'interdit au gouvernement de présenter sa démission. De même, les anecdotes que vous relevez font partie du domaine de l'informel. Le Président n'est pas interdit de chercher à convaincre son Premier ministre ou un ministre d'agir d'une certaine façon, ces derniers ayant libre choix de s'y plier, de refuser ou de se démettre. Vous avez le droit de ne pas approuver la méthode, mais pas d'affirmer que c'est contraire à la Constitution.
Je reviens aussi sur une petite imprécision : vous dîtes que seul le Parlement peut autoriser la guerre ; mais cela n'est valable qu'en cas de ''Déclaration de guerre''. Vous ne précisez pas que pour lancer une intervention armée, l'approbation du parlement n'est pas nécessaire, même si une discussion (sans vote) doit avoir lieu au Parlement. Depuis la révision de 2008, il doit, en revanche, statuer sur la poursuite des opérations au bout de 4 mois par un vote (cf. article 35). Nos dernières interventions militaires se sont faites ainsi. On retrouve là encore un exemple de la souplesse que permet nos institutions.
Enfin, j'en reviens au Parlementarisme. Vous vous appuyez sur des définitions générales de la RFDC - dont je ne sous-estime pas l'intérêt - mais la principale faiblesse à mon sens dans cette démarche c'est que vous utilisez une définition (très) conceptualisée qui ne prend pas en compte les spécificités des parlementarismes des différents pays qui en ont fait l'ехрéгіепсе (vous savez bien que la RFDC travaille à l'émergence du droit constitutionnel européen). Vous n'êtes pas sans savoir non plus que le parlementarisme français, n'a, par exemple, pas grand chose à voir avec le parlementarisme britannique, et les juristes de nos deux pays n'ont pas exactement les mêmes définitions, ce qui est tout à fait logique.
S'agissant de la France, mon principal désaccord vient du fait que vous voulez affirmer en bloc que la Ve République est un projet purement parlementariste. Or, le principal reproche que je fais à votre démarche, c'est que vous vous abstenez de toute remise en contexte dans l'histoire du parlementarisme français, qui suffit à elle seule à nuancer grandement l'ensemble de votre analyse. C'est ce que je vais vous montrer :
Vous savez autant que moi que c'est dans la seconde moitié du XIXe siècle que la culture parlementariste française atteint son apogée, avec la mise en place de la IIIe République et en particulier des trois lois constitutionnelles de 1875 (loi du 24 février sur l'organisation du Sénat ; loi du 25 février sur l'organisation des pouvoirs publics, et enfin la loi du 16 juillet sur les rapports entre les pouvoirs publics). Ce modèle parlementariste est même encore renforcé par l'arrivée au pouvoir des Républicains au dépend des Conservateurs (cf. doctrine Grévy + révision constitutionnelle du 14 août 1884 qui décide de la suppression des sénateurs inamovibles). Le pouvoir du Président de la République est alors réduit à un rôle purement symbolique et c'est le Président du Conseil, élu par les Chambres (et qui peut être renversé par elles), qui détient le pouvoir effectif. A ce moment là, le modèle républicain français est, en effet, purement parlementaire.
Toutefois, dès la fin du XIXe siècle, un antiparlementarisme particulièrement puissant commence déjà à se développer en France, aussi bien à gauche (les mouvements anarchistes organisent des attentats, cf. A. Vaillant en décembre 1893 au Palais-Bourbon ; les socialistes dénoncent quant à eux une ''démocratie bourgeoise'', etc) qu'à droite, avec des figures nationalistes comme Ch. Maurras ou le colonel de la Rocque peu après.
Cet antiparlementarisme ne cesse de se développer parmi les Français durant les premières décennies du XXe siècle, en raison des avantages dont jouissent les députés, les pratiques du pouvoir parlementaire (combinaisons, arrangements, solidarités politiciennes, que de Gaulle appellera ''régime des partis'') et les affaires de corruption. Dans les années 1930, cet antiparlementarisme bat son plein (les mouvements nationalistes gagnent du terrain, notamment en s'appuyant sur les associations étudiantes ; les nostalgiques de la Monarchie et du Bonapartisme sont eux aussi encore nombreux).
Lorsqu'à son arrivée au pouvoir, Ph. Pétain enterre une IIIe République peu populaire et à bout de souffle, force est de constater qu'il reçoit le soutien d'une majorité de Français libres (y compris d'un certain F. Mitterrand jusqu'en 1942 !), malgré la nature autoritaire du nouveau régime.
A la fin de la guerre, l'idée d'un
rééquilibrage des institutions républicaines au profit du Président de la République fait son chemin (c'est tout le sens du discours de Bayeux). Cependant, de Gaulle se heurte vite au retour des bonnes vieilles habitudes parlementaires et ce rééquilibrage reste assez cosmétique dans la nouvelle Constitution de la IVe République, qui reste essentiellement parlementaire.
En 1958, c'est bien cette absence de réel rééquilibrage qui est pointée du ԁоіgt par les partisans d'une nouvelle Constitution (cf. les moqueries envers le pauvre R. Coty, obligé de perpétuer la tradition d'un Président au rôle essentiellement honorifique), ainsi que l'absence de stabilité politique du système parlementaire, déjà critiqué sous la IIIe Rép. et qui révèle ses limites au coeur du conflit algérien.
Ainsi, les rédacteur de la Constitution de 1958 comme M. Debré, même s'ils ne rejettent pas l'héritage parlementaire, ont clairement pour objectif de rééquilibrer les institutions républicaines au profit du Président de la République (Quel aurait été l'intérêt de remplacer une République parlementaire par une nouvelle République parlementaire !).
Cette volonté on la voit, comme je l'ai évoqué maintes fois, dans la grande souplesse des pouvoirs accordés au Président de la République dans le texte de 1958. D'où une Ve République hybride, qui conjugue un fort pouvoir présidentiel à un Parlement toujours puissant.
Notre Constitution s'inscrit dans une longue histoire politique française, et lorsque vous maintenez en bloc que ''La Ve République est un régime parlementaire'', c'est là que j'exprime mon désaccord de fond, car non seulement votre avis est loin d'être partagé par une majorité d'experts, mais surtout, avec cette définition, vous ôtez à notre République toute sa complexité si singulière (d'où les divergences sur l'interprétation des textes qui ne datent pas d'aujourd'hui...) sans oublier que vous l'amputez de tout le long processus historique qui a conduit à sa réalisation : la Constitution de 1958 correspond à l'aboutissement d'un long déclin du parlementarisme français, et c'est bien dans un esprit de rééquilibrage des institutions républicaines qu'est née la Ve République.
J'ajoute que je respecte moi aussi vos convictions, même si nos interprétations sont divergentes.