Chacun sera libre de voter, y compris pour un parti de constations tous azimuts, comme le F.N.
Une bonne partie des élites politiques se sont discréditées par un attentisme coupable, ou dans des affaires de corruption. Cela fait plus de trente ans que l'on cache la poussière sous le tapis, en reportant sans cesse aux calendes grecques ce que personne n'a le courage de prendre des mesures hic et nunc. Dans les banlieues (puisque le sujet a été abordé ici), de nombreux Français – notamment les hоmоsехuеls – souffrent des échecs de la non-politique d'intégration, et de la ghettoïsation. Dans toute la France, de nombreux Français travailleurs, ou exclus du monde du travail, vivent comme une violence cet ensauvagement du capitalisme, mal dissimulé derrière des régulations juridiques en échec.
Pour ces raisons, il ne faut pas tourner en ridicule trop hâtivement le vécu et les craintes de ces citoyens qui sont nos concitoyens. Dans ces conditions, le vote F.N. est loin d'être irrationnel, et l'apanage des imbéciles, des fachos, des nazillons, etc.
Pour autant, je refuse de soutenir le Front national. Voici pourquoi (je serai trop long, sans même pouvoir atteindre l’exhaustivité).
1. Il est faux de croire que le F.N. apporte des solutions nouvelles à la crise économique, puisqu'il reprend certaines des mesures vainement adoptées, pendant la Dépression des années 30:
- Le protectionnisme avait enraciné la crise du commerce déjà bien entamée, contribué à l’abaissement du pouvoir d’achat par l’augmentation du coût des marchandises, et provoqué des tensions internationales sans précédant. De nos jours, cette position est d’autant moins tenable que les grandes entreprises multinationales ne connaissent pas la notion de frontière. Les mille plus grandes entreprises mondiales génèrent un chiffre d’affaire supérieur au PIB сumulés des États-Unis, et du Japon. Dans cette position, les décideurs à Londres, Washington, ou Tokyo donnent des ordres applicables dans leurs « succursales », en France, en Espagne, en Italie, et dans les pays émergents, de façon indépendante, par rapport aux politiques nationales. Le retour à une « francisation » de l’industrie et du commerce est une vue de l’esprit. Et si, par extraordinaire, l’État parvient à ses fins, les multinationales iront s’installer ailleurs. L’emploi n’en sera que plus dégradé, en France. On ressort ici du chapeau – une fois encore – cette mesure maintes fois appliquée par le passé. Elle a toujours été vaine ; elle le sera plus encore, aujourd’hui, dans le contexte économique plus fortement mondialisé.
- Mieux maîtriser ses frontières est une chose, mais les fermer vraiment est une autre paire de manches. Il faut en être conscient. La politique des frontières n’a jamais créé – et ne créera jamais – un espace imperméable, dans un pays qui doit présenter dans les 9 000 km de littoral, et plus de 4 000 km de frontières terrestres. En outre, certaines régions frontalières se sont engagées dans les dynamiques économiques tгапsfrontalières.
- La mystique nationaliste, et l’exacerbation du climat de crainte, vise à rendre « l’étranger » (dans sa notion la plus floue : critères emmêlés de nationalité, de religion, d’origine ethnique, de comportement « en bon Français ») responsable de nombreux maux. Il contribue à créer – dans les esprits et parfois dans le droit – deux catégories de citoyens. C’est un facteur, parmi bien d’autres, de désintégration sociale, et de repli communautaire. Mais il ne faut pas, non plus, pas nier les problèmes que posent les flux migratoires.
- Le soutien artificiel aux entreprises marginales et non-rentables fausse le marché, et provoque immanquablement une augmentation des prix.
- La politique de réindustrialisassion du pays se concentre sur des besoins de cours ou moyen terme. Par une surproduction sectorielle, elle risque d’engendrer l’élimination d’entreprises potentiellement compétitives. Ce parti-pris est – en partie – dépassé aujourd’hui, dans un contexte économique de ргоfопԁе tertiarisation.
2. La résolution du problème des banlieues ne présente pas un intérêt majeur pour le F.N., si ce n’est dans le discours, ou dans les déclarations de principe. Alors que plus des trois quarts des Français vivent dans des centres urbains, et que 91% vivent sous la dépendance des villes, la grande majorité des projets politiques d’aménagement du territoire, présentés par le F.N., concernent la société rurale ; et cela, pour des raisons électoralistes. Il existe une disproportion phénoménale entre l’utilité et les moyens, dans ce parti-pris. Pour résoudre le problème des banlieues, il faut aussi nourrir une politique urbaine ambitieuse. Les Français ne sont pas des troupeaux que l’on déplace. Le monde rural est, bien entendu, absolument indispensable à la France. Mais il présente, par nature, une participation plus faible, en termes d’emplois, à l’économie nationale. Le F.N. entretient le mythe de la « rurbanisation », battu en brèche par la « périurbanisation » constatée ces dernières années, et par les « intercommunalités » qui donnent justement aux communes les ambitions et les moyens de l’urbanité.
3. Le F.N. met en danger la culture française. Tout en se lançant dans de grands discours sur la « culture nationale » et la lutte contre le « parisianisme culturel », le F.N. entend couper les ressources des Fonds Régionaux d’Action Culturelle, principaux acteurs du dynamisme culturel régional. Et pourtant ! La culture en région, participe aux politiques éducatives. Et le maillage festivalier, financé par en bonne partie par les acteurs régionaux à qui on veut briser les reins, est pourvоуеuг de richesses et d’emplois à tout le moins saisonniers. Ce visage donné à la culture contribue à favoriser le tourisme. Il est aussi vecteur d’intégration sociale. Si on lui en donne les moyens, il peut favoriser l’accès de tous à différentes formes de culture, au lieu de laisser la culture communautaire s’enraciner dans certains lieux. Cette culture communautaire (de plus en plus exogène, le plus souvent endogamique dans les milieux qu’elle touche, et utilisée comme un étendard anti-France) est notamment subie dans les banlieues, en raison du constat de rupture ressenti vis-à-vis de l’État.
4. Le F.N. est incapable d’expliquer comment il financera sa politique, s’il n’augmente pas, ou diminue, les impôts, ainsi qu’il le promet : recruter plus d’enseignants, embaucher autant de policiers, de douaniers, de militaires ; soutenir l’industrie et l’agriculture ; ou encore mener une politique de très grand durcissement pénal, dans un contexte où les tribunaux sont engorgés, et les prisons extrêmement couteuses et déjà surchargées. Le seul fait de créer une prison de cinq-cents places engendre un coût de construction d’environ soixante millions d’euros. Il faudrait sans doute plus de trente mille lits pour répondre à cette politique. Et encore, je ne parle pas des coûts annuels de fonctionnement. Tout cela сumulé attendra allègrement les milliards d’euros de dépense supplémentaires. Il faudra donc que les Français se tiennent prêts à payer, d’une manière ou d’une autre, dans un contexte où la cherté des marchandises galopera, favorisée par les mesures économiques de repli national.